Par Abderrahman BEN GAID HASSINE Le cas de Slaheddine Meliane à qui La Presse a consacré un article intitulé «Ces promoteurs tunisiens qui souffrent encore» est un échantillon représentatif d'un bon nombre de promoteurs qui, poussés par le clientélisme d'une administration au service de la haute sphère, ont fini par rendre le tablier avec une lourde ardoise sur les épaules. Aujourd'hui et alors qu'il continue à payer les pots cassés, M. Meliane doit se rendre compte qu'il a commis une série d'erreurs au niveau de la conduite qu'il a adoptée et du choix du site abritant son projet. Première erreur : avant l'entame de son projet, notre promoteur n'a pas lu le poème de Bayram Attounsi «Akhouka Al Majlis Al Baladi». Deuxième erreur : pour réussir son projet, tout promoteur doit faire preuve d'une vision futuriste, chose qui a échappé à M. Meliane. Ce dernier a commis l'erreur fatale d'avoir adapté son projet au plan d'aménagement en vigueur alors que la règle à cette époque voulait que l'on anticipe afin d'adapter les projets semblables aux plans d'aménagement qui n'ont pas encore vu le jour. A défaut de cette faculté, on pourrait recourir à la voyance, ce don qui prédit l'avenir. Troisième erreur : le choix du site abritant le projet de M. Meliane n'a pas été judicieux. Comme pour tout projet immobilier, le terrain doit faire l'objet d'une enquête approfondie qui, en sus des règles connues par tous les promoteurs, doit porter sur l'impact du voisinage sur la faisabilité du projet. Il suffit que votre voisin soit bien introduit dans l'administration ou faisant partie d'elle pour que votre projet soit remis en cause. «La pendaison en groupe est une randonnée d'agrément», un adage bien de chez nous que j'adresse avec amertume à M. Meliane non seulement pour le soulager mais aussi pour lui dire qu'il n'est pas le seul à avoir été martyrisé par les agissements odieux d'une administration certifiée conforme aux normes ZABA. «Les personnages d'un roman sont un peu comme des icebergs: on ne peut en voir que le pic, la face émergée, mais il y a toujours une autre face cachée sous l'eau, et lorsque l'eau descend il faut se laisser surprendre par ce que l'on va découvrir», disait Harlan Coben. La promotion immobilière, à l'instar des personnages d'un roman, comporte une face visible qui émerge et une face cachée qui, une fois démasquée, laisse pantois. Ce que je vais exposer ci-après n'est pas une simple appréciation sur le secteur mais une expérience vécue et un témoignage émanant d'un directeur technique d'une société de promotion immobilière dont le propriétaire faisait partie de la haute sphère, pour ne pas dire des hors-la-loi. Le premier projet de la société fut arrêté en cours de travaux de structure. Deux collèges totalisant six experts confirmèrent, sur la base d'une série d'essais réglementaires, la faiblesse mécanique du béton utilisé et son incapacité à supporter les charges de l'immeuble. Tout plaidait alors pour la démolition des ouvrages, surtout que l'ingénieur conseil qui a conçu et calculé la structure a retiré sa responsabilité dans l'affaire, et ce, pour fraude et dol au niveau des fiches de laboratoires que l'entrepreneur présentait au titre de suivi des travaux. Un conflit s'installa alors entre deux grosses cylindrées puisque l'entrepreneur, lui aussi, faisait partie des intouchables. Ce dernier recourra à une troisième expertise qui, faisant fi de la conclusion des deux premières, a fait un jugement de valeur en faveur de l'entrepreneur sans s'appuyer sur les essais qu'imposent pareilles circonstances. Pour enterrer définitivement l'affaire, un puissant neveu du président déchu a fait son apparition sur la scène. Fort du pouvoir qui était le sien, l'intrus parvint à réconcilier les deux parties au grand dam de la sécurité des futurs occupants. Ainsi et après un arrêt de deux ans, le chantier a repris comme si de rien n'était. Un renforcement des poteaux a été opéré mais les fondations déclarées défectueuses n'ont pas été reprises. Pour faire face aux dépenses que nécessite la reprise du projet, le promoteur a procédé, en sus d'un crédit déjà octroyé, à la vente d'un terrain classé parmi les zones humides d'importance internationale (convention internationale dite Ramsar). Afin d'honorer la transaction, l'acheteur du terrain qui n'est autre que le fils du vendeur associé à un gendre de Ben Ali obtint un important crédit d'une banque nationale moyennant une hypothèque dudit terrain. Alors que le gendre de Ben Ali se trouve derrière les barreaux, l'on s'interroge sur ce que pourrait récupérer la banque du crédit qu'elle a accordé sinon un terrain que personne n'achètera ? Pas très loin de ce projet, le même promoteur acquiert à bas prix un terrain à vocation équipements. Une vocation qui n'attire pas la convoitise des promoteurs puisque la construction de logements y est interdite. La municipalité de la place, contrairement aux indications du plan d'aménagement de la zone, accorda au promoteur une autorisation de construction d'environ mille logements. Pour le promoteur, l'objectif de cette opération n'est pas de réaliser cet immense projet mais plutôt de voir la valeur du terrain décuplée. Généreuse comme elle l'est, la municipalité a consenti un rabais de 50% sur la redevance que devrait payer le client au titre de l'autorisation de bâtir. L'escroquerie de ce promoteur étant ce qu'elle est, il serait utile de rappeler à M. Meliane ce qu'a dit Baldassare Castiglione à propos de l'injustice : «En pardonnant trop à qui a failli, on fait injustice à qui n'a pas failli».