Par Noureddine Ketari * Les débats qui se déroulent depuis plus de quatre mois autour des libertés, de la démocratie, de la Constitution, des élections et de l'organisation de la vie politique d'une manière générale laissaient paraître : — des positionnements de concepts culturels et religieux clairement distincts — une course feutrée mais effrénée vers le pouvoir. D'aucuns voudraient déjà que la Constitution adopte leurs thèses et garantisse «a priori» leurs objectifs et c'est l'objet des manœuvres et des mises en scène auxquelles nous avons assisté depuis des semaines. Nous sommes tous d'accord pour considérer que le départ de la « bande mafieuse » constitue le principal acquis de la Révolution et pour que les biens mal acquis par ceux qui ont « collaboré » avec ses membres ou qui ont exploité leurs relations ou positions pour s'enrichir soient récupérés…. Au niveau économique cependant les choix et les propositions des partis politiques sont, quand ils sont audibles, plutôt partiels, et formulés en termes généraux : tout le monde est « naturellement » pour le développement régional, une fiscalité juste, la résorption du chômage etc. mais rien de précis qui s'apparenterait à un programme cohérent qui expliquerait le comment de ces propositions. Celui qui chercherait à s'autoproclamer «défenseur des objectifs de la Révolution» au même titre que beaucoup d'autres, pourrait pourtant se référer aux principales catégories socioprofessionnelles du pays et aux raisons réelles pour lesquelles elles se sont soulevées. La première se composerait de ce quart de la population vivant dans la pauvreté et la précarité, avec les 700.000 chômeurs qui ont la certitude inébranlable d'avoir été tout simplement oubliés depuis 55 ans. Ils veulent tout, et tout de suite. Ils disent avoir fait la révolution pour cela. Au-delà des revendications de liberté, dignité et égalité, leurs cahiers de doléances se présentent d'abord comme des listes de projets matériels clairement définis et localisés, pour répondre à des besoins essentiels incompressibles : logements décents, services de santé, d'éducation, eau potable, éclairage, et bien sûr l'emploi garant de la dignité. Ils exigent que des assurances pour que ces doléances sont prises en considération. Seraient aussi révolutionnaires et solidaires de ces exigences les salariés, toutes catégories confondues, autres que les cadres supérieurs, qui considèrent avoir été mal traités par l'ancien régime .C'est la catégorie de citoyens qui a dû se battre contre le coût de la vie, la faible progression des salaires, le caractère saisonnier de l'emploi, la non application ou mauvaise application de la législation du travail, en plus de la difficulté voire l'impossibilité de revendiquer. On y trouve des agents des collectivités locales, des contractuels des entreprises publiques ou privées… Pour ces salariés la Révolution signifie le moment de rattraper tout ce qui n'a pu être obtenu à temps, les grèves et les sit-in expriment la volonté de se faire enfin entendre et de ne plus se contenter ni croire aux promesses convaincus qu'elles ne seront pas tenues. Une troisième catégorie se composerait des chefs d'entreprises, grandes, petites, et très petites, tous secteurs confondus, qui considèrent que l'important aujourd'hui est de poursuivre sans perte de temps le développement du pays maintenant qu' ils ont la certitude de ne plus être inquiétés par des prédateurs. Ils admettent aussi que le développement doit être équitable et doit se faire selon un modèle qui réponde aux attentes de tout le monde. Pour cette catégorie tant que l'économie n'aura pas été relancée les corrections ne pourront pas être entamées pour satisfaire les doléances populaires. Mais pour relancer l'économie il importe d'assurer la sécurité. . Les deux premières catégories taxeraient la troisième de contre-révolutionnaire ! Les termes d'une « Révolution tranquille » Ainsi et aussi importants que puissent être les débats politiques en cours, leur intensité ne baissera qu'une fois une réponse crédible et acceptée par tous aura été trouvé aux problèmes de développement économique et de justice sociale et une fois ceux qui sont taxés de contre-révolutionnaires expliqueront selon quel modèle de développement et de redistribution des revenus assureront l'équité et la justice. C'est la seule façon pour eux de prouver qu'ils sont eux aussi pour la réalisation des objectifs de la révolution mais que leur'' Révolution est tranquille'' et demande du temps. De larges débats sur les trois piliers du développement, à savoir le schéma de développement économique , le modèle social et le système éducatif devront être engagés entre l'Etat, les partis politiques et la société civile pour trouver la ligne médiane qui saura satisfaire toutes les catégories socioprofessionnelles car développer, oui, mais la prospérité de l'entreprise doit s'accompagner d'un progrès social pour tous. Il semble par conséquent opportun qu'une «plateforme de développement » soit dégagée dès à présent à partir de laquelle le retour à un développement planifié pourra être envisagé. Développement planifié signifie surtout l'établissement de priorités consensuelles . Lors des élections de 2009, le plan en cours a été « détruit » par le président déchu, et remplacé par des programmes dits «présidentiels», personnalisés et modifiables à volonté. Il serait fortement souhaitable que le gouvernement provisoire engage, dès à présent et parallèlement à la préparation des élections et de la Constitution, l'élaboration de cette plateforme et que des plans régionaux de développement économiques et sociaux soit ébauchée .Parallèlement une réforme du système éducatif qui répondrait aux doléances et options de la majorité du peuple serait mise en chantier. Cela permettrait à toutes les catégories socioprofessionnelles et aux régions de participer à leur élaboration, d'y inscrire ce qu'ils considèrent comme essentiel et prioritaire et donner un contenu aux objectifs de la Révolution, énoncés par tous. Les partis politiques seront naturellement appelés à participer à l'élaboration de ces programmes.