La Presse — Les troubles et les actes de violence ne semblent pas s'arrêter. Cette fois-ci, c'était, hier, dans la salle de cinéma «Africa Art», au coeur du centre-ville, à Tunis. Vers 17h00, alors que des cinéphiles, des artistes et des intellectuels étaient en train de visionner un documentaire intitulé «Ni Allah, ni maître», des dizaines de jeunes barbus ont attaqué la salle, forçant la porte d'entrée, tout en brisant les vitres. Selon des témoins oculaires, ils étaient quelque 80 personnes, arrivées en groupes sur les lieux, protester contre la projection de ce film qualifié, selon eux, de «provocateur». Un sacrilège ou blasphème qui outrage le divin et profane la religion en quelque sorte. En fait, un des agents de la sécurité de la salle nous a confié: «Ces jeunes barbus, salafistes, faisant probablement partie «d'Ettahrir» ont brandi un drapeau noir aux cris d'«Allahou akbar». Ils considèrent que les spectateurs de ce film ne sont que des mécréants, des athées, n'ayant aucun respect pour l'islam». Le film en question, réalisé par Nadia El Fani, traite, rappelle-t-on, de la problématique de la laïcité, de la liberté de culte et du respect des croyances religieuses. Et pourtant, contrairement à ceux qui cherchent à imposer une vision religieuse et doctrinale déterminée, «le film a pour objectif de diffuser les valeurs de tolérance, d'entente et de dialogue entre les citoyens quelles que soient leurs appartenances politiques, culturelles ou religieuses», lit-on sur le dépliant de présentation du film distribué, à l'occasion, par les organisateurs. Un autre témoin affirme qu'un groupuscule d'une dizaine de personnes armées de bâtons, de bombes à gaz et de barres de fer s'étaient infiltrées à l'intérieur de la chambre de projection, et agressé un certain un nombre de spectateurs et des portiers de la salle, ainsi que son directeur Habib Belhedi qui a été légèrement blessé à l'œil. Ayant subi des coups violents, certains autres ont été rapidement transportés à l'hôpital. Sitôt informés, les agents de police sont intervenus sur les lieux et ont arrêté un groupe de ces jeunes. Certaines sources parlent de l'arrestation d'au moins sept activistes. Les autres ont pris la fuite. Najeh Mbarek, journaliste, était présent. Il nous a livré son témoignage: «Alors que nous étions concentrés à regarder le film, une bande d'individus barbus ont fait irruption dans la salle, semant troubles et terreur parmi les spectateurs». Et d'ajouter, «ils ont tenté d'empêcher la projection, pointant du doigt la teneur du film, l'accusant d'avoir porté atteinte à l'image de l'islam. Certains sont allés jusqu'à proférer des menaces de mort». Des propos qui ont été confirmés par Fatma Jegham, universitaire- chercheure, adhérente au mouvement culturel de gauche en Tunisie pour la formation d'un front culturel progressiste. Elle a vivement dénoncé ces actes de violence, les considérant comme des comportements rétrogrades prenant pour cible les tendances et les initiatives culturo-artistiques en Tunisie post-révolution. Elle a accusé ces groupes salafistes d'avoir un dessein destructeur qui vise à nous tirer vers l'arrière. Pour rappel, la projection de ce film «Ni Allah, ni maître», ainsi que celui intitulé «En attendant Abou Zayd» s'inscrit dans le cadre d'une campagne de promotion culturelle tenue sous le signe «Touche pas à mes créateurs», à l'initiative d'un réseau d'associations «Lam Echaml», ou «l'union fait la force».