Mardi dernier, en passant devant la salle de l'Africart, nous aperçûmes à l'entrée du cinéma une petite pancarte sur laquelle on avait écrit en majuscules l'adjectif «COMPLET». Cela fait si longtemps qu'en n'en avait pas vu sur les guichets de nos salles de cinéma. Vingt ans, peut-être plus. Il nous a fallu attendre les JCC de 2010 pour nous rappeler que l'épithète s'emploie aussi pour décrire des salles de cinéma bondées de monde. Avant cette date, nombreux parmi nous autres Tunisiens sont ceux qui ne le voyaient convenir qu'aux menus des restaurants et aux vitrines des magasins de costumes masculins. Il fut un temps, pourtant, où nos salles obscures faisaient le plein jusqu'à 7 jours sur 7. Les comédies musicales égyptiennes ou américaines, les westerns, les péplums, les policiers, les films d'horreur, tous ces genres et d'autres drainaient une foule innombrable. On réservait sa place, parfois deux ou trois jours à l'avance. Les exploitants cinématographiques étaient toujours certains que tel ou tel film ferait salle comble pendant plus d'une séance, voire pendant plus d'une semaine. C'est qu'autrefois, les films pouvaient tenir l'affiche durant des mois même. On ne s'interdisait jamais une première ni une deuxième ni une troisième visions. Le public des cinéphiles était si composite qu'on voyait se côtoyer dans la même rangée, sans que cela dérange l'un d'eux, un professeur, son élève, un couple fraîchement marié, le cireur du coin, le portefaix du marché et le chauffeur de louage «légèrement» éméché. De nuit comme de jour, le soir plutôt en parlant des sorties familiales, les cinémas accueillaient au moins 200 spectateurs par séance. Quand le film faisait un tabac, on organisait des séances supplémentaires nocturnes et diurnes.
Magie du «Complet»
Aujourd'hui, nous voulons dire pendant cette semaine si courte des JCC, nous avons eu l'immense plaisir de constater un véritable regain de cinéphilie chez nos concitoyens. Des étudiants se bousculent pour aller voir, à la maison de la culture Ibn Rachiq, l'œuvre d'un cinéaste malien que l'on croyait inconnu. D'autres jeunes font la queue pour découvrir cet «Homme qui crie» du Tchadien Mahmat Saleh Haroun, ou les «Hors la loi» de l'Algérien Rachid Bouchareb. Même «Fin décembre» de notre Moez Kammoun, dont pourtant nos «vénérables» critiques ont dit beaucoup plus de mal que de bien, attire la foule des grands jours. La capitale en a retrouvé une animation de fête. Il a beau faire frisquet les après midis, les soirées ont beau être humides, nos rues, nos terrasses de cafés, nos clubs, et bien sûr nos salles de cinéma ne désemplissent désormais que très tard par rapport aux soirées automnales et hivernales des trois dernières décennies. Juste pour cela, les JCC de 2010 méritent qu'on les qualifie de réussies. Ne serait-ce que pour cette pancarte affichée sur les portes de l'Africart, nous devons remercier les organisateurs et les animateurs de cette semaine féérique qui a réveillé en nous et chez d'autres certainement de merveilleuses sensations vieilles de 30, 40, 50 et 60 ans ! Dommage que la fête ne soit pas «complète» et qu'elle ne se soit pas étendue aux autres villes du pays qui, naguère, abritaient chacune plus d'une salle obscure et projetaient plus de trois films par semaine. Ce serait dommage d'autre part que dans le peu de salles qui nous reste, on revienne après les JCC à la programmation des navets de 1970 et 1980. Ce serait dommage aussi que nos intellectuels et nos artistes disparaissent de la scène après la semaine exceptionnelle pendant laquelle ils «bataillèrent» un peu partout pour bénéficier d'un badge ou d'une invitation, d'une entrée gratuite quoi ! La belle image que nous voulions immortaliser n'est donc pas complète comme on le voit. Mais qu'importe, nous retiendrons surtout le souvenir de la pancarte «COMPLET». Pour nous, cet adjectif résume à lui seul toute la magie retrouvée le temps d'une complétition, pardon, d'une compétition cinématographique de quelques jours!