Au commencement était quelque chose. C'est ainsi que débutent les histoires dont on ne sait trop où elles doivent conduire. C'est bien de fonder ainsi un raisonnement…ou une fable. Alors, pour entamer cette nouvelle série de «Songes de nuits d'été» (que Shakespeare me pardonne mon larcin !), je me suis cru autorisé à user de la même ficelle. Mais, moi, je sais où je vais. Du moins, pour ce qui est du raisonnement. C'était là la première introduction. Et voici la seconde. L'été dernier, quand on m'a demandé, à la rédaction, de «remettre ça», c'est-à-dire de reprendre cette chronique saisonnière, j'étais bien embarrassé. Entre interdits de la pratique journalistique alors en cours et ceux que me dictait ma conscience, j'avais épuisé le filon des rêveries estivales à étaler dans un organe réputé gouvernemental (en fait, il est public, parce que c'est l'Etat — et non le gouvernement — qui est majoritaire dans le capital de l'entreprise, nuance apparue au cours du bras de fer ayant opposé des éléments de la rédaction à la direction du journal au cours des derniers mois précédant le 14 janvier dernier. Mais, comme l'Etat, c'était lui, c'est-à-dire son chef…). Alors, à moins de tricher en «recyclant» d'anciens sujets, ce qui aurait été malhonnête avec les éventuels lecteurs (et même avec l'entreprise, par ailleurs pas mal escroquée, du moins en ces temps-là), je devais littéralement me contorsionner chaque semaine pour trouver matière à scribouiller. Pour revenir à notre sujet, il est, cela va de soi, de ceux que je brûlais d'envie de traiter, mais que jamais, au grand jamais, on ne m'aurait autorisé à le faire. Il s'agit de l'exemplarité du comportement de l'agent de police et de son impact sur celui des citoyens. Pour les vieilles générations comme la mienne, il y avait, dans la société, des personnages dont on devait imiter le comportement, tant ils nous paraissaient, chacun dans son domaine, pétris des valeurs qu'ils étaient censés représenter. Ils étaient la référence normative. Ainsi, un instituteur était, pour nous, l'incarnation des valeurs morales et citoyennes qu'il était chargé de nous inculquer. Le policier, lui, était le symbole de l'ordre universel, de l'équilibre, de l'harmonie. Ils inspiraient respect et confiance (mêlés d'un zeste de crainte, il est vrai) au point qu'un seul d'entre eux pouvait tenir en une seule main une foule de potaches braillards dans la cour d'une école ou la nuée déambulant dans les artères et les dédales de tout un quartier, si chaud fût-il. C'est qu'ils étaient bien outillés pour accomplir leur mission, tant au niveau de leur formation qu'à celui des conditions matérielles de l'exercice de leur profession. Nous idéalisions ces personnages et les placions sur un piédestal et la société tout entière leur attribuait une aura et un statut qui les rangeaient parmi les notabilités de la cité. Mais, tout autant, ils étaient respectables parce qu'ils se respectaient eux-mêmes dans leur tenue, dans leur discours et dans leur comportement. Point de barbe hirsute, point de propos déplacés, point de gestes vulgaires ni même familiers. Une dégradation progressive La démocratisation de l'enseignement, après l'Indépendance, et l'amélioration de la couverture sécuritaire du pays se sont traduites par un gonflement précipité des effectifs de ces corps de métier qui a eu les effets que nous connaissons tous sur la qualité des prestations et, par la suite, et dans un développement logique, sur celle des prestataires eux-mêmes et qu'explique une dégradation progressive, mais soutenue des conditions matérielles et morales de l'exercice de la profession. Cette dégradation se répercute sur l'image que ces agents de l'Etat donnent d'eux-mêmes et sur leur conduite professionnelle et sociale. C'est ainsi que le policier, par exemple, en est arrivé à être débraillé (casquette souvent rejetée en arrière de son crâne ou manches retroussées), qu'il distribue des bises à tour de bras, lui qui, même avec un parent, en service, adressait le salut réglementaire pour mieux signifier le respect mutuel. Il fume durant le service et débite des insanités grosses comme le laid bâtiment de son ministère. Il y a de l'arrogance et de la provocation dans ce comportement. Une manière de défi que procure la certitude de l'impunité. Ce défi atteint sa plénitude lorsque les agents, chargés de faire régner l'ordre et la loi, transgressent cet ordre et cette loi, en enfreignant la réglementation, celle de la circulation, par exemple. Point de respect du feu rouge, ni du sens unique, ni du stationnement interdit, ni des couloirs du métro. Et que dire des agents en civil, roulant dans des voitures banalisées, qui prennent plaisir à afficher leur mépris de cette réglementation et s'en prennent violemment à ceux qui, croyant avoir affaire à leurs semblables, osent protester ? Bien sûr, l'exemple est contagieux, et nous l'observons quotidiennement. Aujourd'hui, libérée du joug du despotisme à tous les rayons, la société tunisienne cherche à se réconcilier avec elle-même et avec ses institutions, la police, par exemple, dont elle a pu vérifier l'utilité dans les moments de chaos que le pays a traversés; cette police qui, elle-même, a pu mesurer la misère de sa condition (notamment politique) et qui, comme toutes les composantes de la nation, s'emploie à conquérir une dignité matérielle et morale qui avait été trop longtemps bafouée, cette police est aujourd'hui appelée à retrouver sa véritable vocation, celle de l'agent de l'Etat chargé d'appliquer et de faire respecter la loi. Et de donner l'exemple de ce respect.