Au moment où nous rendions hommage à une de nos divas, d'autres divas, créatrices et femmes de talent, se sont fait agresser par des jeunes, ne reconnaissant pas la maternité de leurs aînées. Cela s'est passé dans un haut lieu de la culture portant un nom fort symbolique, tiré d'un patronyme féminin qu'une fille généreuse a cédé à sa mère; les jeunes qui ont agressé les divas de la culture, ne se réfèrent qu'à la version altérée de ce nom ifriqya, bousculant tout le reste. Mais le temps travaille pour nos divas, car toute la société est en veille. Dans quelque temps, la mère patrie fournira à nos jeunes tabasseurs, d'autres occupations, mieux rémunérées, et ils se calmeront, ne se consacrant qu'à leurs propres affaires. Alors, retenons nos émotions et restons optimistes, pour faire connaissance avec notre nouvelle diva. La onzième, dont le nom justement évoque l'optimisme. M'na, la perle de Sayada Elle est née il y a soixante-dix ans dans ce petit village de pêcheurs situé à une quinzaine de kilomètres de la ville de Monastir. La légende voulait que le nom de Sayada provient de celui d'une femme, pêcheur(e) de son état, qui a fui sa ville, Moknine, pour venir s'établir sur le rivage d'une mer fertile et généreuse. Le village de Sayada a l'aspect d'une véritable ville avec ses pêcheurs, ses tisserands, ses marchands et toutes les commodités propres à une cité. Les Sayadis aiment le bon vivre; ichtyophages jusqu'à la moelle, ils adorent le poisson. Fins connaisseurs en la matière, leurs mets à base de produits de la mer sont apprêtés à la manière des puristes, jamais trop chargés d'épices, juste ce qu'il faut pour ne pas dénaturer leur goût originel. M'na, héritière des bonnes traditions, prépare chaque année au moment de l'abondance du piment rouge frais que nous appelons akhdhar (vert) pour confectionner sa aoula rituelle, afin d'épicer le poisson, pitance des Sayadis, ainsi que les andouilles osban et les petits plats au maigre. Suivons-la attentivement pour nous familariser avec son savoir-faire ancestral. M'na prend la quantité nécessaire de piment rouge de préférence de la variété dite b'aqlouti, label d'un village tout proche de Sayada, B'qalta. Elle la trie soigneusement, coupe chaque fruit en deux, et les expose au soleil pendant trois ou quatre jours, mais attention! Quand le soleil est au zénith, elle les couvre d'un drap pour qu'ils ne se décolorent pas. Après, arrive l'opération de battage pour enlever les graines qui sont trop piquantes et altèrent le goût. Un nouveau tri s'opère, les pièces qui vont constituer l'harissa pour poisson sont mises à part, le reste va soit au piment en poudre, soit à l'harissa pour andouillettes. Dans ce cas, le piment est mélangé à la tomate séchée, au carvi (carwya) à l'ail et au sel. Elle est dégustée le jour de la préparation dans un couscous des provisions (koskossi-el-aoûla). Pour revenir au condiment pour poisson, le piment préparé à cet effet n'est pas moulu, mais juste pulvérisé sans aucun ajout; ça fait partie du purisme de M'na et des bonnes ménagères de Sayada. Cet élixir va servir à embaumer le poisson de Sayada durant les trois cent soixante-cinq jours de l'année.