Continuons… Nos divas s'agitent pour nous chérir; comme des cantatrices d'opéra, elles jouent du classique. Les épices du bon vieux temps s'accordent avec les condiments de la bonne table, en harmonie avec les petits riens pour gaver les friands des bonnes choses. Tout cela est bien beau; mais comment leur donner ce goût acidulé que nous apprécions tant ? Pour l'obtenir, nous avions nos figues sèches et nos abricots cueillis encore verts, puis avec la découverte du Nouveau monde, et depuis nous ne jurons plus que par ce légume-fruit qui nous a conquis, la tomate. Elle nous rafraîchit par période de grandes chaleurs, quand elle est vendue fraîche nous disons khadhra (litt-verte), bien rouge, bien juteuse et surtout bien en chair. Que faire quand elle disparaît? Faudra-t-il insister, la tomate est un fruit d'été, qui ne supporte pas le froid. Nos bonnes ménagères, ingénieuses comme elles sont, ont inventé une technique simple et subtile pour conserver la tomate. Une de nos artistes, parmi les plus douées pour cette besogne, délicate mais plaisante, est notre invitée pour cette semaine. Faison vite sa connaissance. Magdicha, gardienne de l'Eden Magdicha, de son vrai nom Jamila, ce qui veut dire belle, est une femme heureuse. Elle incarne avec sa beauté physique, une autre beauté, encore plus attachante, celle de l'âme. Cette octogénaire aux traits fins et au visage rayonnant est issue d'une grande famille d'érudits et de propriétaires terriens; cette famille dont les racines plongent dans un passé fort lointain a donné à Sfax, terre de naissance de Magdicha, son historien le plus prodigieux le Cheikh Magdich Toute jeune Jamila suivait son père et l'assistait dans son passe-temps laborieux! Ce jardinage à la sfaxienne, conservation des greffons, bêchage, soins donnés aux arbres, entretien du poulailler, du clapier dans ces petits lopins de terre, que les Sfaxiens ont appelé avec beaucoup d'imagination J'nen par analogie au paradis terrestre, l'Eden des textes sacrés. Jamila, en épousant un Ayadi, «citadin laboureur», a continué dans sa passion de cueillir, transformer et bien apprêter les délices de sa terre. Elle nous livre ici une de ces petites créations qu'elle prépare depuis des décennies pour ensoleiller les journées d'hiver de sa grande famille, enfants, petits-enfants et arrière-petits enfants. Voici sa recette : Tomates (en conserve) à la magdichienne Il faut pas moins de 11 kilos de tomates fraîches pour obtenir l'équivalent d'un seul kilo de produit séché. Magdicha prend la quantité nécessaire de tomates adaptées au séchage. Soigneusement triées et bien lavées, elle les coupe en deux sans les séparer. Puis elle les saupoudre de gros sel et les fait sécher sur des claies grillagées pour qu'elles restent aérées. Une fois bien déshydratées, nos belles tomates sont conservées dans des pots en verre (ou en terre); bien arrosées d'huile d'olive, séjournant dans un ustensile hermétiquement fermé, les tomates de Magdicha se bonifieront avec le temps et garniront les plats d'hiver que Jamila concocte à la joie de toute sa petite tribu des Ayadi.