Par Zohra BEN SLIMANE Par une précédente lettre ouverte sur ces mêmes colonnes, vous étiez sollicité pour intervenir dans l'affaire Bratel de La Goulette. Des échanges ont eu lieu avec le ministère des Domaines de l'Etat qui a ordonné une commission regroupant les différentes institutions concernées par l'affaire, à savoir le ministère de l'Equipement, Larrue et le Domaine de l'Etat. La commission a convoqué et entendu individuellement les douze familles pour connaître pour la énième fois leurs attentes respectives malgré le caractère évident de ces dernières qui ont été relatées et remâchées indéfiniment lors des multiples doléances écrites, orales et même radiodiffusées et télévisées aussi bien avant la révolution de la dignité en dépit de l'oppression qui existait à l'époque, qu'après cette dernière, son adjectif relatif à la dignité signifiant une réhabilitation quasi automatique des droits fondamentaux dont celui à la propriété et au choix de l'habitat. Une promesse d'une décision rapide était avancée pour donner une bouffée d'oxygène aux victimes qui ont alors cru avec beaucoup de soulagement à un dénouement imminent de l'affaire qui les apaiserait moralement. Elles avaient, en effet, beaucoup misé sur le gouvernement provisoire qui, selon leur logique après- révolutionnaire, ne tarderait pas à les réhabiliter dans leurs différents droits aussi bien civils que matériels, vu, d'une part, la parfaite connaissance antérieure du dossier et la compassion manifestée dans les coulisses par les différents gestionnaires de l'administration même au sein de la présidence en dehors des bourreaux en question et, d'autre part, vu la situation très précaire de la plupart d'entre eux en cette période estivale et à la veille d'un mois sacré. Ce mois, faut-il le souligner, se prépare et s'accompagne d'une multitude d'usages et de rites qui ne peuvent pas trouver place chez des gens qui se trimballent non pas sac à dos comme tous les vacanciers, eux qui ont toujours fait partie intégrante de cette ville estivale par excellence qu'est La Goulette (chose qui a attiré la convoitise des bourreaux du Bratel) mais plutôt leurs gros problèmes sur le dos, entre des locations de fortune qu'ils ont pratiquement abandonnées ou en cours et des appartements promis en guise de début d'indemnisation dont l'échéance de remise des clés prévue initialement pour le 1er mai continue à être reportée indéfiniment. Des questions demeurant sans réponse sur le devenir de leur terrain après le départ des bourreaux qui l'ont dénudé sauvagement le 12 janvier 2010, des maisons qui renfermaient la richesse morale et matérielle de cette communauté multiculturelle qui vivait en une méga-famille, ce qui est visible par les multiples parentés et alliances liant les douze familles existantes. Or à ce jour, les victimes ne voient pas le bout du tunnel car rien ne se concrétise, du moins pour elles. Elles sont abandonnés à leur sort et ruminent leur amertume. Elles sont profondément déchirées par le constat alors que leur vie est asphyxiée par l'injustice subie, le terrain Bratel duquel elles ont été arrachées à coups d'engins de la municipalité et devant la caméra approbatrice des forces de l'ordre (quel ordre ?), sert de lieu de divertissement, et fait l'objet d'une multitude de petits et grands commerces: du vendeur de jouets ,faux bijoux, barbes à papa, tapis et chaussures jusqu'à l'exploitation du parking par la même municipalité qui a participé au crime et l'octroi, de nos jours encore, d'autorisations d'exploitation de buvettes, cafés et autres à des personnes qui n'ont rien à voir avec les ex du Bratel, alors que ces derniers qui se sont vu refuser même le renouvellement d'anciennes autorisations n'ont même pas le droit de stationner sans payer ce droit de passage sur les chers lieux spoliés. Encore une fois donc, nous prions qui de droit de se pencher sur le sujet du Bratel pour que nous soyons informés sur la situation officielle de ce dossier qui ne semble plus être de la seule compétence des Domaines de l'Etat d'après le blocage que nous constatons malgré la bonne volonté de Monsieur le ministre des Domaines de l'Etat et de ses proches collaborateurs, et qui constitue une réalité dure à vivre chaque jour pour les victimes en question. Si certains volets dudit dossier méritent une concertation élargie, nous pourrons comprendre leur report, mais la situation précaire des victimes mériterait une solution urgente et pratique en commençant par un apaisement de la population en question. Il y a des personnes de plus de 80 ou 90 ans et leurs familles qui vivent dans l'espoir de se voir réhabilitées dans leurs différents droits. Il y a des enfants qui ne vivent pas dans la stabilité nécessaire à leur âge. Il y a des jeunes gens qui ont pleinement vécu la révolution, imprégnés du sentiment qu'elle serait forcément salutaire pour le douloureux cas de leur ancienne cité. Malgré les conflits qui continuent à accompagner l'accouchement difficile de notre démocratie, nous continuons à croire en la continuité de l'administration, à la priorité relative au Tunisien qui constitue la première richesse du pays ainsi qu'à la détermination de toute la nation à accoster sur un bateau libre même si un peu étourdi par les grosses vagues et les multiples courants.