Par Me Sadok MARZOUK* Il est bien évident que dans toute assemblée politique délibérante l'idéal démocratique est que les décisions soient prises avec l'accord de tous. Mais on sait aussi que l'unanimité, si elle existe, est suspecte puisque c'est la caractéristique des régimes totalitaires. En fait, il est tout aussi vain d'obtenir l'unanimité, j'entends la vraie unanimité, que de trouver un merle blanc. Heureusement, du reste, car le paysage politique serait on ne peut plus morne s'il était monocolore. C'est pourquoi, en démocratie, on se contente de la majorité. On considère qu'une assemblée délibérante fonctionne démocratiquement si ses décisions sont prises à la majorité. On peut dire que la démocratie c'est le pouvoir de la majorité. Mais ce n'est pas tout, sinon on aboutit à la dictature de la majorité qui est, bien évidemment, la négation de la démocratie. Je veux dire par là qu'il n'y a pas de démocratie sans opposition. L'historien et politologue Guglielmo Ferrero (Pouvoir. L.G.F. 1988) illustre cette exigence en écrivant: «Il faut que les deux volontés opposées, celle de la majorité et celle de la minorité, puissent se manifester, et agir ensemble toutes les deux sans s'entraver mutuellement, c'est-à-dire chacune dans une sphère particulière, que l'autre respecte. Quelles sont les deux sphères particulières réciproquement inviolables ? Le pouvoir et l'opposition. La majorité a le droit de gouverner, la minorité a le droit de faire opposition et de critiquer la majorité, pour tenter de devenir, à son tour, majorité. C'est pour cette raison que dans les démocraties, l'opposition est un organe de la souveraineté du peuple, aussi vital que le gouvernement. Supprimer l'opposition signifie supprimer la souveraineté du peuple... Majorité et minorité, droit de commander et droit d'opposition : voilà les deux piliers de la légitimité démocratique» On doit ajouter que le rôle de la minorité ne doit pas dépasser la participation aux débats et le droit de critique. Si, sous prétexte de désaccord avec les décisions adoptées par la majorité, elle se retire de l'assemblée, elle exerce, alors, un droit de véto qui est un déni de démocratie. Plus grave encore, ce retrait, surtout s'il est accompagné de déclarations publiques aux médias, déniant à l'assemblée en question et même au gouvernement toute légitimité, constitue, en fait, un appel à l'insurrection. C'est, tout simplement une «tactique» de coup d'Etat comme dirait Curzio Malaparte (Technique de Coup d'Etat.) Ed. Grasset. Le monde en 10/18. 1964.