Par Mondher Ben Chedli Les dernières interventions des responsables de l'Isie (Instance supérieure indépendante pour les élections) dans les médias pour mobiliser les citoyens tunisiens dans le processus électoral ne sont pas convainquantes et prêtent à un vrai pessimisme quant à la réussite de ces élections de la Constituante du 23 octobre 2011, avec toutes les conséquences politiques et sociales graves qui en découleraient. Le mode d'organisation de ces élections, qui confie à une instance la tâche de mettre en place le système électoral à partir de zéro, est une première mondiale. Faire table rase de tous les outils antérieurs qui avaient pour seul objectif d'assoir l'emprise du pouvoir déchu sur la société tunisienne et de tromper l'opinion mondiale, pour mettre en place un nouveau système électoral transparent et démocratique est une tâche très noble qui répond profondément aux aspirations de notre révolution. Les Tunisiens ont crié «dégage» aux élections truquées, aux urnes bourrées à tel point que notre pays était montré du doigt et provoquait l'hilarité à travers le monde avec ses résultats électoraux à 99%. Mais, mettre en place un système électoral performant et qui respecte les droits des citoyens est une chose et réussir le processus électoral, déjà engagé, avec la date butoir du 23 octobre, est une autre chose. L'enjeu est d'aboutir à des élections sincères et transparentes, mais surtout démocratiques, c'est-à-dire qui fassent participer la majorité écrasante des citoyens quels que soient leurs niveaux social et intellectuel, et leur lieu de résidence dans le pays, des faubourgs de Tunis jusqu'aux coins les plus reculés de notre pays. Il est impensable et politiquement grave de prendre le risque d'aboutir après le 2 août 2011 à des listes électorales qui comportent un nombre minoritaire de citoyens. Et là, nous serions la risée de tous les adversaires de notre révolution. Or ce risque existe bel et bien et nous allons directement vers le mur. Il est exclu d'attendre le 3 août pour faire le constat de cet échec. Il faut immédiatement procéder à des rectifications majeures dans le programme d'organisation des ces élections. Il y va de l'avenir du processus de transition démocratique engagé dans notre pays et que de nombreux adversaires attendent au tournant. Le planning que l'Isie a été contrainte d'adopter accorde à toutes les opérations, dans leur enchaînement obligatoire, des délais de réalisation très courts, voire impossibles à réaliser, donc non démocratiques. La première tâche engagée (inscription sur les listes électorales) connaît déjà des dérapages et une très faible participation. Il y a lieu de réfléchir immédiatement sur l'utilité de procéder à l'enregistrement de tous les électeurs, alors que dans les conditions et les délais retenus actuellement, ces listes seront très incomplètes. Par ailleurs, le délai accordé pour la présentation des candidatures est à mon avis très court (7 jours). Pour une première élection ouverte à tous les partis (plus d'une centaine) et à tous les indépendants qui ont enrichi le paysage politique tunisien, ceci est un obstacle difficile à franchir. La composition et le mode de fonctionnement actuels des commissions régionales indépendantes des élections ne permettent pas de gérer dans un temps record le tsunami de candidats, d'agréer toutes les listes candidates avec les réserves et contestations possibles, d'organiser la campagne électorale (affichages, médias, etc.) et enfin de préparer l'opération de vote le jour J, le 23 octobre 2011. Nous allons vers des journées très chaudes qui risquent de raviver les monstres tapis dans nos contrées et donner l'occasion aux adversaires du processus de transition démocratique de tirer à boulets rouges sur les instances démocratiques de transition qui ont été mises en place : Isie, Haute Instance de la révolution, gouvernement de transition... Il faut immédiatement rectifier le tir et faire l'économie urgente des tâches qui pourront être différées aux prochaines élections, ou accepter d'engager les tâches en parallèle. Il serait judicieux de publier dès à présent le décret appelant aux élections, démarrer dès maintenant le dépôt des listes de candidats, tout en maintenant en parallèle l'enregistrement sur les listes électorales jusqu'à la veille des élections. Le purisme juridique, l'indépendance absolue vis-à-vis de toutes les structures administratives et l'absence de collaboration avec la société civile peuvent aboutir aux résultats contraires de ce qui nous est promis. Nous ne pouvons laisser l'avenir de notre pays aller à la dérive. Le gouvernement et la Haute Instance de la révolution doivent immédiatement reprendre en main le processus. Personne n'acceptera des élections avec 25 ou 30% d'inscrits et n'accepte de reporter de nouveau leur date. Chacun doit assumer pleinement ses responsabilités.