La date des premières élections libres du 23 octobre prochain approche tambour battant. Et si tous les regards sont orientés vers la profusion de partis politiques qui complique notre vie quotidienne, un autre acteur n'a cessé de se mouvoir parallèlement afin de baliser le terrain pour une nouvelle Constitution globale et plus conforme aux principes universels de la démocratie conformément à notre identité arabo-musulmane : il s'agit de la société civile qui, depuis la chute de Ben Ali, n'a cessé de se manifester en réintégrant sa place dans le paysage, une place confisquée jadis par l'hégémonique parti de masse (le RCD dissous). En fait, qui dit Constitution, dit une affaire de tout un peuple et non pas un domaine réservé uniquement aux politiques. C'est dans ce cadre que les trois associations Le Manifeste 20 Mars, l'Association tunisienne pour l'action citoyenne (ATAC) et l'Organisation tunisienne pour la citoyenneté (OTC), en collaboration avec d'autres associations (environ une trentaine, telles que : RAID-ATTAC- CADTM) et en la présence d'une pléiade de journalistes, d'intellectuels, d'universitaires et de nombreux citoyens et citoyennes, ont organisé le week-end dernier à Mahdia des assises nationales sur le thème «Pensons notre Constitution». Retour sur un événement atypique et attachant. Décidément, la société civile ne cesse de nous surprendre par son dynamisme et ses idées créatives. Contrairement aux partis politiques qui mettent en avant leurs différends avec la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique ou leurs querelles idéologiques, la société civile se distingue par un rôle d'encadrement du peuple à travers l'organisation de rencontres, de meetings et de séminaires dont la finalité n'est autre que de vulgariser au maximum la participation politique chez le citoyen lambda, tout en renforçant sa conscience citoyenne. Et voilà que les 22, 23 et 24 juillet, dans la ville de Mahdia, un débat national sous forme d'assises dont le thème général était: «Pensons notre Constitution» a été organisé à l'initiative d'un collectif d'associations. Joindre l'utile à l'agréable Selon les organisateurs de cet événement : «Nos assises ont pour principal objectif d'élaborer un projet des grandes lignes de la Constitution, qui sera vulgavisé et débattu le plus largement possible, pour être proposé, ensuite, sous forme de recommandations à l'opinion publique, aux candidats indépendants et aux futurs membres de la nation à l'Assemblée constituante. Ce texte restera notre référence et l'objet de notre mobilisation pendant toute la période de vie de l'Assemblée constituante [… ]. Conscientes des forces et des lacunes que peuvent présenter les textes qui circulent et soucieuses d'intégrer dans leurs propositions les résultats des nombreux débats publics organisés dans le pays et où ont été émises des critiques, des demandes d'éclaircissements ou de précisions et des propositions complémentaires, et pour que notre Constitution reflète notre voix, nos associations ont pris l'initiative d'organiser, avec des jeunes et des militants indépendants, des assises nationales sur le thème : Pensons notre Constitution». Durant ces trois jours, plus de 350 participants ont pu joindre l'utile à l'agréable, et ce, à travers un programme riche et varié où les organisateurs ont pu métisser culture (pièces théâtrales, projections de films documentaires et de la musique révolutionnaire en programme off), politique, débats et remue-méninges. Les participants ont pu aussi assister à plusieurs interventions d'éminents professeurs universitaires à l'image de Sadok Belaïd, Ridha Zouari, Youssef Seddik, sans oublier l'artiste militante Raja Ben Ammar et l'intellectuel Gilbert Naccache. Ce dernier s'est distingué à travers le débat sur le rôle de la société civile dans la réalisation des objectifs de la révolution tunisienne. La démocratie participative en exercice Mais pour tous les participants, le samedi a été sans aucun doute le jour phare de ces assises, où les organisateurs ont mis en place neuf ateliers autour des thèmes suivants : «Principes généraux de la Constitution», «Charte des libertés et des droits dans la Constitution», «Structures des pouvoirs», «Le pouvoir judiciaire», «Les instruments de contrôle», «Le découpage territorial et le développement régional», «Liberté de la presse et des médias», «Place de la culture et de l'art dans la nouvelle Constitution» et «La souveraineté populaire (socioéconomique)». Durant 7 heures, les participants à ces ateliers ont pu faire du brainstorming : «un travail de groupe composé d'une dizaine de participants, dont un coordonnateur, choisis de préférence dans plusieurs disciplines. Plusieurs idées ont été exprimées et notées sur un tableau (paper-board) visible par tous. Les séances ont duré entre 3 et 4 heures chacune, ce qui a permis de faire disparaître toutes les inhibitions, pour garder une vivacité d'esprit plus grande. Des pauses ont été aménagées entre chaque réunion pour laisser reposer les idées émises pour mieux les réexaminer par la suite. Un véritable apprentissage de la démocratie participative. La Presse a pu assister aux séances de remue-méninges de l'atelier numéro 3 : «Structures des pouvoirs», animé par l'universitaire et l'un des organisateurs de cet événement Jaouhar Ben Mbarek. Durant deux séances de quatre heures, les membres de cet atelier ont pu passer à la loupe les différentes structures des pouvoirs qui doivent être mentionnées dans la prochaine Constitution. Selon Jaouhar Ben Mbarek‑: «Les pouvoirs ont souvent une architecture bien définie. Avec un pouvoir central et un pouvoir régional, avec un équilibre et une interaction entre eux». Suite aux débats, les participants se sont mis d'accord pour donner plus d'importance au pouvoir régional en accordant plus d'autonomie aux régions. Ainsi, on ne parle plus de gouvernorats mais plutôt de conseils régionaux ou de provinces (qui peuvent englober 3 ou 4 de nos actuels gouvernorats selon un nouveau découpage territorial qui prendra en considération le déséquilibre régional actuel). Les membres des conseils régionaux doivent être élus au suffrage universel selon des listes nominatives. D'autre part, les fonctions de délégué et de omda (les représentants de l'Etat dans les zones rurales) devraient être remplacées par des conseils locaux, également élus. Les participants penchent pour un régime républicain parlementaire et bicaméral : une Assemblée nationale composée de parlementaires qui auront comme mission de légiférer et où chaque parlementaire devrait défendre les problèmes de la nation et non de sa région. Quant aux problèmes de développement régional, ils seront traités à la deuxième chambre, «l'assemblée nationale des régions», qui sera composée des présidents des conseils régionaux et de trois membres de chaque conseil régional qui seront élus par les membres des conseils régionaux avec la présence impérative dans ce trio d'un président d'un conseil local de la région. Enfin, toujours selon Jaouhar Ben Mbarek : «Le projet final de la Constitution fruit de ces assisses va être publié sur notre site ‘‘notreconstitution.org'', où les internautes pourront aussi publier leurs commentaires et donner leur avis. Et par la suite, la deuxième version qui sera la synthèse entre les propositions de la première version (celle des assises) et celles émises par les internautes, sera mise en ligne le 24 octobre prochain (J+1 des élections). Et pourra inspirer la Constituante dans ses travaux. Rappelons que cet événement est le fruit d'un travail d'un mois et demi réalisé par des jeunes bénévoles et volontaires». Et comme l'a bien dit Gilbert Naccache, homme politique et écrivain tunisien : «L'essentiel dans ces rencontres, ce ne sont pas les textes qui en ressortent, mais plutôt la communion qui prend place entre les citoyens et le métissage d'idées qui en résultent». Assurément, on ne peut que saluer cette initiative qui ne peut que renforcer le principe de la démocratie participative sous nos cieux, tout en offrant aux citoyennes et aux citoyens tunisiens la possibilité de contribuer à l'élaboration du projet de Constitution de leur pays et à l'édification de l'Etat de droit qui commence par une Constitution consensuelle et qui dure dans le temps: la pierre angulaire de l'Etat de droit. Abdel Aziz HALI * Brainstorming : remue-méninges ou tempête d'idées, c'est une technique de résolution créative de problème sous la direction d'un animateur dans le cadre d'une réunion informelle de collecte d'idées.