Nous publions aujourd'hui la troisième et dernière partie de l'article d'Yvonne Bercher, consacré à la présence et à l'apport arabes à Genève. Elle y aborde, notamment, le cas d'une école d'arabe qui, outre l'enseignement de la langue qu'elle dispense, offre d'autres possibilités d'études et contribue au rapprochement de gens de nationalités et de cultures différentes. Mohammed Abu Rub, un Suisse d'origine jordanienne demeurant Rue de Lausanne, à cinq minutes à peine de la librairie de l'Olivier, enseigne l'arabe. C'est grâce à une bourse d'échanges que cet accueillant professeur, déjà titulaire d'un certificat d'enseignement du français à l'étranger, vint en Suisse, à la fin des années 70, après un passage à l'Université de Beyrouth. L'école d'arabe Modar S.A. Dans son école, Mohammed Abu Rub n'évoque l'islam que si on le lui demande, mais, dans les faits et au quotidien, il met en œuvre les plus beaux préceptes de cette religion. Aux élèves en difficulté, il propose dans la discrétion la plus totale une aide qui dépasse nettement le cadre de son mandat. Un "Hadith" (Ndlr: Propos du Prophète) nous dit qu'Allah est aux côtés des êtres patients. Nul ne doute qu'il n'inspire Mohammed Abu Rub dans sa tâche quotidienne. A Genève, il est relativement facile de trouver une école d'arabe, mais une bonne, c'est une autre affaire. Qualifié pour le faire, Mohammed Abu Rub, Docteur ès lettres de l'Université de Genève, auteur d'une thèse sur la poésie galante andalouse au XIe siècle, citée dans Le Monde, a misé sur la qualité. Citons une autre publication remarquée, celle de ses poèmes Chants d'exil. Par une contemplation subtile, il dépasse les souffrances du déracinement et nous fait partager sa sensibilité de professeur - écrivain. (Ed. A La Baconnière, La mandragore qui chante, Neuchâtel 1990.) Le département de l'instruction publique est, du reste, conscient de la valeur de cette école, puisqu'il lui accorde une pleine reconnaissance. La collaboration avec cette entité administrative se passe donc sous les meilleurs auspices. Une vingtaine d'adultes et 26 enfants, souvent issus de couples mixtes, retrouvent, grâce à Mohammed Abu Rub, leurs racines culturelles et linguistiques. Dans cette école, aux bases posées en 1987, les premiers élèves étaient des enfants venant du Golfe, de Jordanie et du Yémen. Vinrent ensuite des cours d'arabe, langue étrangère, pour adultes. Suivirent des leçons de français, langue étrangère. Les services sociaux envoyèrent enfin à Modar S.A. des requérants d'asile pour apprendre la langue, qui est du reste aussi enseignée à des diplomates. Les plus anciens élèves adultes, qui étudient l'arabe, le font depuis 1999. Leurs motivations vont de l'intérêt pour une autre culture au désir de pouvoir dialoguer avec la famille d'un conjoint arabe. C'est donc ainsi que des Européens, a priori peu enclins à le faire, redécouvrent un sens de la famille dont on a perdu la trace… Certains, venus pour étudier le Coran, restent le temps d'acquérir des bases, puis rejoignent une école à connotation religieuse. Une à deux fois par an, l'Ecole Modar S.A organise une fête, facteur de cohésion entre les différentes classes. Dans une ambiance ludique, et en écoutant ceux qui les ont précédés parler arabe, les débutants, ainsi encouragés dans leur progression, peuvent mesurer le chemin parcouru par des classes plus avancées. A l'occasion, l'Ecole Modar SA participe également à des activités culturelles, comme par exemple, Le Salon du Livre, au printemps. Il y a quelques années, avec l'aide enthousiaste de ses étudiants requérants d'asile, Mohammed Abu Rub avait monté une tente bédouine et proposé un buffet. Charles Aznavour, de passage, en fut enthousiasmé. En plein essor, l'école a récemment ouvert un département de business et communication, offrant licence (BBA) et Master (MBA) en sciences commerciales, management et tourisme. Avec dynamisme et compétence, Mohammed Abu Rub œuvre, lui aussi, pour la rencontre des cultures. Dans son école se côtoient, dans le respect, plusieurs nationalités. La sagesse populaire ne dit-elle pas que le rang le plus élevé est celui de la connaissance, du savoir et de la science ? La fondation de l'Entre-Connaissance A deux pas, à la Rue du Môle, la Fondation de l'Entre-Connaissance vient d'ouvrir des locaux. Elle vise à tisser des liens entre la civilisation islamique et le reste du monde, à œuvrer pour la connaissance des cultures et des peuples et dispose de moyens importants. Vers quelle unité ? De mon quartier des Pâquis, je regarde souvent avec nostalgie et envie l'Institut du Monde arabe, fleuron de la ville Lumière, situé sur les bords de la Seine, à quelques centaines de kilomètres de chez nous. Mais, à la réflexion, les petites entités dont nous disposons, sur à peine quelques centaines de mètres carrés, ont aussi leurs avantages. Peut-être même qu'elles sont plus souples dans leurs possibilités d'action… En tout cas, elles témoignent d'une vitalité certaine de la communauté arabe ! Pour le béotien européen qui contemple ce déploiement de bonne volonté à rencontrer l'autre et ces compétences incontestables, le défaut d'unité et d'efficacité des Etats arabes face à l'interminable souffrance des Palestiniens apparaît, dès lors, encore plus incompréhensible. L'Etat serait-il vraiment si loin du peuple ?