Par Bourguiba BEN REJEB Il ne faut pas bouder son plaisir quand des nouvelles rafraichissantes nous viennent du monde du travail pour annoncer des avancées substantielles sur le front social. Et l'accord récemment conclu au sujet des augmentations salariales en est une bonne. Il y a quelques mois de cela, l'horizon paraissait si sombre que les plus optimistes n'osaient même pas entrevoir une sortie, considérée par tous comme problématique, du tunnel. L'élan révolutionnaire avait fait éclater les bases de l'ancien système politique et mafieux. Il a aussi entraîné l'apparition fracassante des revendications engendrées par l'accumulation des frustrations rentrées. Le monde du travail, en particulier celui de l'Organisation des travailleurs, a ainsi étalé la litanie des injustices devenues insupportables et dont était responsable l'ancien régime, trop longtemps spécialisé dans la terreur et les pratiques de l'humiliation collective. Tous les secteurs, ou presque, ont ainsi connu des mouvements de grèves dures. On en arriva même, plus souvent qu'il n'en fallait pour nourrir la peur du lendemain, à l'expression destructrice de la rancœur. Beaucoup d'entreprises en firent les frais et ont été amenées à la fermeture et parfois à la faillite. On imaginait mal le retour au dialogue, encore moins au dialogue dans la confiance réciproque. Et pourtant. Au vu des accords signés par toutes les parties, on a compris que des Tunisiens responsables, des responsables tunisiens n'ont jamais douté. La Centrale syndicale avait brandi haut et fort l'étendard des droits spoliés. Elle n'en contribua pas moins, finalement, à réconcilier le monde du travail avec lui-même. Le patronat aussi, dont on décriait le parti pris et les turpitudes en rapport avec les contraintes de l'ancien régime. La blessure fut profonde, la renaissance n'en est que plus gratifiante. Il fallait trouver la partition pour transformer en coup gagnant la tentative de sauvetage que la nation appelait de ses vœux. Il fallait aussi un chef d'orchestre. Celui-ci, pour transitoire qu'il soit, a assuré l'engagement. Mohamed Ennaceur, ministre des Affaires sociales, se retrouva ainsi dans le rôle qu'il affectionnait. A l'arrivée, et pour fêter l'événement, celui-ci n'a d'ailleurs pas caché sa «‑fierté‑» du résultat et du «‑consensus renouvelé pour l'édification d'une société solidaire imprégnée des valeurs de liberté et de justice sociale‑». Sans pavoiser, mais tout de même… Il n'est évidemment pas question de pavoiser : le chemin est encore long et la démocratie sortie des urnes encore en gestation. Le dialogue initié se poursuivra à travers les hommes et les femmes sortis des urnes, objectif vers lequel on peut exprimer quelque optimisme, raisonnablement bien entendu. Au-delà des luttes partisanes, légitimes et salvatrices, le message donné par les dernières négociations abouties est à prendre tel quel : la roue peut tourner dans le bon sens, en dépit d'un scepticisme auquel il va bien falloir tordre le cou. On a souvent dit que la révolution made in Tunisia avait ce quelque chose de particulier de compter sur la valeur, et l'entêtement productif, de ces hommes et femmes qui s'érigent en hussards de la République, pour reprendre une expression d'un autre temps mais qui veut bien dire ce qu'elle dit. Dans le silence bruyant du travail acharné, dans l'incompréhension que justifie parfois l'étendue des désastres hérités, dans l'hostilité fille de l'impatience légitime et post-révolutionnaire, ceux qui n'ont jamais désespéré ont finalement fait la différence, comme on dit en football, la différence qui booste l'espoir. Il va bien sûr falloir suivre dans le détail les effets concrets des accords conclus. Il n'en reste pas moins qu'il faut saluer avec déférence ceux qui y ont contribué, de quelque bord qu'ils soient. Nous marchons à pas hésitants vers la démocratie désormais possible. Pour l'histoire, en ce mois de juillet caniculaire de l'an 2011, la chaleur des retrouvailles n'est pas de trop. Goûtons à ce plaisir, ce qui ne nous empêchera pas d'étaler nos différences sur le chemin d'une démocratie en marche. A pas comptés certes, mais c'est déjà ça de gagné.