Par Bourguiba Ben REJEB - Les dernières dispositions prises au sujet des chèques sans provision ont permis à beaucoup de citoyens de souffler. Pour eux, mais pour les banques aussi, toutes les logiques de temporisation étaient arrivées à échéance en raison des endettements sans limites pour tous ceux qui avaient pris l'habitude d'enchaîner les prêts de toutes sortes et les achats inconsidérés. Un responsable bancaire, préposé aux discussions avant octroi de crédit, ne tarit pas d'histoires au sujet de ces anonymes venant à la pêche aux avances en inventant tous les alibis du désespoir pour boucler une fin de mois ou assurer des échéances que le banquier devinait insolvables. Le même dit résister avec beaucoup de difficulté devant les malheurs étalés pour les besoins de la cause débitrice. La loi encadre bien la pratique, mais les 40% fatidiques des revenus, nécessaires à l'octroi des liquidités, étaient dans les faits dépassés par le plus grand nombre. Demain, on gagnera le Promosport La gymnastique qui tue le plus en ce moment est celle dite du revolving. Quand on n'a pas de quoi assurer un ancien crédit, on en contracte un supplémentaire pour couvrir le reliquat et disposer de quelques liquidités. Les plus naïfs, ou les plus désespérés, hésitent très peu à s'engouffrer dans ce cul-de-sac. Il leur en coûte beaucoup plus en frais supplémentaires, dans la durée, mais comment résister quand le train de vie court plus vite que le salaire ? Du coup, il arrive plus souvent que d'habitude que la banque, en prélevant son dû à la fin du mois, ne laisse que des miettes pour le père, ou la mère, de famille bien obligé d'honorer le pain quotidien. La faute à qui ? A la société de consommation dans l'absolu. Le commun des Tunisiens, comme dans beaucoup d'autres pays, vit au-dessus de ses moyens. La pratique des ventes à terme a envahi tous les espaces de commercialisation et peu de gens peuvent se passer de commodités devenues des besoins vitaux. Cela va de la voiture, à la climatisation, à l'ameublement et à tous les instruments d'un électroménager désormais envahissant à force de besoin de renouvellement. L'avis partagé par tout le monde est que peu de Tunisiens arrivent à survivre avec la multiplication des traites et des échéanciers bancaires, à défaut de les voir tous gagner au Promosport. En gros, notre banquier estime que la moyenne des retraits préalables avant de disposer du salaire mensuel se situerait autour de 500 D. par mois. Quand on connaît le niveau de ces salaires, le calcul est vite fait. Contracter un crédit bancaire devient pour le moins problématique, à moins d'imaginer que le banquier soit devenu moins regardant sur la solvabilité des demandeurs. On sait bien que le travail du banquier consiste à avancer de l'argent pour récolter des dividendes, mais on voit bien aussi que les guichets sont assaillis de clients en manque réel de liquidités ou dans des démarches désespérées de récupération de chèques sans provision. A force, et devant les guichets, beaucoup de clients sont vite reconnus par les atermoiements sur le volume de l'argent disponible mensuellement, volume réduit à sa plus simple expression. La recommandation générale faite aux responsables d'agences bancaires semble être d'agir au mieux pour ces clients. Ils doivent donc faire preuve et de patience et de rhétorique pour canaliser aux moins problématiques les demandes manifestement répétitives et sans véritable répondant. De la pub à la banque La faute à beaucoup de pub, diront certains. Des études ont même été faites par l'Institut National de la Consommation à ce sujet. Celles-ci tendent à confirmer que « les familles tunisiennes ont des comportements irrationnels » comme le signale le Secrétaire d'Etat au Commerce Extérieur » dans son intervention lors du Conseil d'Administration de l'Organisation de Défense des Consommateurs tenu ces derniers jours. La publicité induit de nouveaux modes de consommation, a-t-il ajouté. Et comme il faut bien payer ce qu'on a décidé de consommer, le premier recours est la banque. Un commerçant en électroménager du centre de Tunis en a même pris le parti d'accorder de larges réductions quand le paiement se fait au comptant et en liquide. Pour les cas où le comptant se fait par chèque, il prend la précaution de proposer la livraison, juste pour encaisser son chèque avant l'enlèvement de la marchandise. L'astuce marche, dit-il, sauf que cela lui fait moins de clients. C'est à qui perd gagne en somme. Les ennuis éventuels avec la solvabilité bancaire du client sont monnaie courante, raconte un commerçant en matériaux de construction. Même quand il consent à endosser le chèque à terme, très souvent on vient lui quémander des délais supplémentaires, quand on ne laisse pas tout simplement courir, en prenant le risque des poursuites devant lesquelles même la justice trouve de la peine à suivre. Les dernières décisions au sujet des chèques tendent en ce sens à desserrer l'étau et à donner plus de temps à de problématiques résolutions de la quadrature du cercle. Pourtant, tout le monde sait qu'à défaut du maintien du rythme accéléré de la consommation, beaucoup d'entreprises ne tiendront pas le coup. Si les banques venaient à appliquer strictement les procédures d'octroi de prêts pour l'achat des voitures populaires, les ventes s'en ressentiraient durement. Du coup, le souhait de réduire l'inflation, comme cela a été souligné dans le dernier conseil d'administration de l'ODC relève plutôt du vœu pieux. Dans le monde, et à une plus grande échelle, la crise dite des surprimes tenait de ce vertige né de l'endettement en cercle vicieux. Ces enjeux planétaires sont d'une autre dimension, mais les mécanismes sont identiques. A notre dimension, notre banque est plus importante que les mastodontes de la finance internationale. L'inflation, risque constant des sociétés de consommation, peut déjouer tous les efforts de solidarité orientés vers les plus démunis. Elle a aussi pour vocation perverse de grignoter sur le pouvoir d'achat de tout un chacun.