Nous avons appris, comme tout le monde, que la ville de Tunis va accorder un espace parmi les plus prestigieux aux vendeurs à la sauvette. Cette information a été présentée comme une solution à une situation d'anarchie « incontrôlable », très nuisible à l'image de la capitale. Les artères de Tunis sont, justement, envahies par des centaines et des centaines de marchands. Selon les dernières statistiques, leur nombre aurait atteint les 600. Mais la liste n'est pas close car, chaque jour, de nouveaux arrivants appâtés par cette proposition se manifestent et s'installent là où il reste encore un petit espace. Quitte à ce que cela empiète sur le droit des commerçants en place et des piétons qui ne peuvent plus arpenter les rues de leur ville sans être agressés moralement par des spectacles désolants. Il n'y a plus de limites aux dépassements de ces gens qui se croient tout permis devant l'attitude passive des autorités. Bien sûr, personne n'ignore ce qui se cache derrière le comportement de chaque partie. Les uns profitent de ce vide sécuritaire en essayant d'en tirer le maximum, les autres font comme si tout se déroulait normalement en évitant d'irriter les susceptibilités. Il faut dire que ce phénomène n'a pas touché la ville de Tunis seulement, mais toutes les grandes villes du pays. A titre d'exemple, on peut voir comment le front de mer de La Marsa s'est transformé en une véritable cour des miracles. On atteint le top avec l'anarchie totale au niveau de la circulation. On sent un pincement au cœur en se disant que nos belles villes, nos beaux quartiers, nos belles rues n'ont plus rien de beau et que nous vivons un cauchemar. Et ce cauchemar, malheureusement, risque de devenir une réalité si le projet de la municipalité se concrétise. En effet, on prévoit de regrouper ces vendeurs dans un centre qui constituait jusqu'à la fin des années 80 un des poumons culturels de la ville et même du pays, à savoir la STD (Société tunisienne de distribution). Toute une activité animait ce lieu et le centre de la capitale, malgré la mauvaise gestion avérée de ce haut lieu de la culture. C'est donc à une seconde mort que nous allons assister. Sa cession au profit d'une autre activité est perçue par beaucoup comme un cadeau empoisonné à la ville de Tunis. L'avenir de ces commerces en plein centre de la capitale n'aura-t-il pas des répercussions néfastes sur l'animation d'une ville tournée vers la modernité ? Comment introduire ce modèle d'activité dans l'un des sites les plus sensibles, culturellement, sociologiquement, architecturalement... ? N'y aurait-il pas, plus tard, de grands problèmes, rien qu'au niveau de l'approvisionnement de ces commerces par les véhicules qui viendront stationner selon leurs propres code de la route ? Du point de vue sécurité et organisation, allons-nous avoir un autre quartier Moncef Bey, avec des gens qui ne se plient pas nécessairement aux règles du commerce auxquelles sont astreints les autres commerçants ? C'est vrai que les responsables qui ont pensé à cette solution veulent parer au plus pressé et trouver une issue à des situations inextricables. Mais ne voient-ils pas qu'ils sont en train de poser (consciemment ou inconsciemment) les premiers jalons d'une grande discorde pour le futur ? En croyant résoudre la question des étals anarchiques et des vendeurs à la sauvette, ils ne feront qu'en augmenter le nombre. Car rien ne garantit qu'après le départ de ce premier contingent de « commerçants », d'autres ne viendront pas les remplacer et demander la régularisation de leur situation. Certes, la municipalité de Tunis a besoin de redorer son blason ; mais pas aux dépens de l'esthétique, du bon sens, de la logique et de l'histoire.