Vous êtes pressé, vous avez un rendez-vous important, vous prenez un taxi, vous demandez gentiment au taxiste s'il pouvait prévoir de vous amener à destination à temps, il vous répond sèchement, sur un air indigné : non ! je ne peux pas, ça relève uniquement du Créateur, vous avez beau lui répliquer que le Créateur a créé des hommes à son image qui ont inventé des techniques et fabriqué des machines très précises capables de faire des prévisions exactes. Rien à faire, il vous écoute d'une oreille sourde, sauf qu'il vous dépose au lieu de votre rendez-vous en un temps record. La pile de notre réveil est usée, l'horloger a fermé faute de clients; vous vous adressez à une quincaillerie pour en acheter une; une voix du fond de la boutique vous harangue, pourquoi un réveil? Réveillez-vous à l'appel de la prière de l'aube (el-fajr)! Difficile de lui répondre que si vos préoccupations ramadanesques vous obligent à dormir tard, vous ne pouvez que faire une sieste compensatrice l'après-midi et vous réveiller à la sonnerie de votre réveil. Et puis tous ces jeunes qui se réveillent effectivement à 4h00 du matin pour la 1ère prière du jour, ils ne la font pas chez eux, de peur de réveiller leurs petits frères qui ne sont pas encore soumis à cette obligation, ils vont à la mosquée du quartier, rencontrent leurs copains et retournent pour se recoucher jusqu'à une heure tardive de la journée, oubliant que cette prière a été instituée pour pousser justement les croyants à aller travailler tôt le matin et bien entamer leur journée. Ces deux exemples servant d'anecdote sont tirés du réel, du vécu. Ils illustrent bien cette nouvelle tendance d'une religiosité à la fois frileuse et ostentatoire, elle est difficile à comprendre dans une société qui a fait un bon chemin dans l'interprétation raisonnée de la Révélation et de la tradition (du Prophète). Si toutes les religions primitives antiques et révélées ne cherchent que le salut de l'homme, celui-ci est appelé à travailler pour s'épanouir pour vivre son temps et surtout pour marquer sa présence sur terre en faisant avancer la civilisation; ce n'est nullement contradictoire avec la croyance. Quand nous savons que nous sommes des privilégiés sur ce plan grâce à notre vénérable université Ezzitouna, qu'il faudrait réhabiliter, disons-le en passant, qui a formé durant des siècles des oulémas ayant des idées progressistes comparés à leur temps. Taha Housseïn s'en est émerveillé en visitant notre pays en 1957. Ce «doyen de la littérature arabe» a remarqué que la Zeïtouna dispensait ses cours aux jeunes filles également, ça l'a vraiment enchanté, il a été le premier à parler de «l'exception tunisienne». Alors pourquoi nous retombons dans une logique d'ignorance quand nous voyons tous ces prêcheurs sans savoir et ces muftis ne détenant que des bribes de connaissances? Pour terminer, nous gratifions nos chers lecteurs de cette petite phrase, une véritable perle prononcée par un homme de religion parmi les plus illustres, Cheikh Abdelaziz Jayet, commentant la promulgation du Code du statut personnel le 13 août 1956 dont il a contribué (à la rédaction) : «L'essentiel c'est la foi, la religion peut s'adapter».