Par Soufiane Ben Farhat Quelques critiques fusent. Pour avoir trop insisté sur l'argent trouble dans les affaires politiques sous nos cieux. Comme toujours, on doit savoir profiter des critiques pour bien mériter les éloges. Seulement, la précision s'impose : on n'insistera jamais assez sur les travers tordus de l'argent et de la politique. Parce que l'argent vicie les règles du jeu démocratique. Dans les pays développés, les affaires de l'argent politique louche, sale ou corrupteur sont fréquentes. Personne n'y échappe. Après avoir achevé ses deux mandats présidentiels, Jacques Chirac avait dû faire face à neuf affaires dont la majeure partie concernait des questions d'argent et de finances. En Italie, de telles affaires sont monnaie courante. Frasques, heurs et malheurs de Silvio Berlusconi obligent. Chez nous aussi, les affaires de corruption fusent depuis peu. Elles engagent également le blanchiment d'argent sale, les détournements de biens et deniers publics et l'enrichissement sans cause. Le phénomène a pris une ampleur abracadabrante sous l'ancien régime. Avant-hier, M. Abdelfettah Amor, président de la Commission d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation, a donné des chiffres troublants : "Quelque 9206 dossiers ont été présentés jusqu'à présent à la Commission d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation dont 3920 ont été examinés, alors que 200 autres dossiers ont été soumis à la justice dont plus de la moitié concerne le président déchu et ses proches". A l'entendre, l'ancien régime croyait "que le pouvoir était une manne à diviser entre le président et ses proches". De même, "la structure pyramidale du pouvoir a été fondée sur le suivisme et non sur le questionnement, ce qui a conduit à la multiplication des foyers de corruption et de malversation dans toutes les structures de l'Etat et de la société". S'exprimant devant la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la réforme politique et la transition démocratique, M. Abdelfattah Amor a souligné l'impérieuse nécessité de parer à cet état de fait. Il s'agit, entre autres, de la création d'une instance permanente pour circonscrire la corruption conformément à la Convention des Nations unies de lutte contre la corruption et la malversation. Nous voilà bien renseignés sur une partie de l'iceberg. Parce que les fauteurs de corruption maîtrisent le jeu de simulation et de dissimulation, les montages financiers obscurs et l'art de noyer les gros poissons dans les mares glauques et troubles. La corruption n'a d'ailleurs pas de parti. Elle est de droite, de gauche et centriste au besoin. Elle est un phénomène de pouvoir qui dépasse les seules enceintes gouvernementales. L'opposition n'y échappe pas, elle aussi. Nous en avons de bien piteux et scabreux témoignages sous l'ancien régime. Chassez le naturel, il revient au galop. Après la Révolution du 14 janvier 2011, le jeu pervers se poursuit. D'un côté, de nouveaux réseaux du marché parallèle se mettent en place. Au vu, au nez et à la barbe de tout le monde. Impunément. D'autre part, l'argent coule à flots dans les enceintes partisanes et associatives notamment. Un argent qui interpelle. D'ailleurs, tel leader d'un parti d'opposition aurait demandé au gouvernement d'ordonner une enquête judiciaire sur l'argent de tel autre dirigeant d'un nouveau parti. Les citoyens n'en reviennent pas. Ils sont blackboulés entre la dépréciation du pouvoir d'achat, la hausse des prix, les coûts de Ramadan, de l'Aïd et bientôt de la rentrée scolaire. En même temps, certains partis politiques affichent des richesses prodigieuses. Pour certains, elles sont insolentes. Elles le sont d'autant plus que certains partis ne présentent guère de programme politique mais plutôt des offres alléchantes. A en croire que, pour certains, l'engagement et la loyauté seraient de l'ordre de l'intéressement matériel et financier. Et que la politique ne serait qu'un prétexte, voire une aire de spéculation financière et de juteux placements. Avec, bien évidemment, d'inévitables dividendes. Voici venu le temps des rapaces politiques.