Par Soufiane BEN FARHAT Le parti du "Mouvement citoyenneté" a été on ne peut plus direct. Il a fustigé, dans une conférence de presse, "l'exploitation outrancière de l'argent politique et l'utilisation des espaces médiatiques et publicitaires" par les partis politiques. Il pointe d'un doigt accusateur les "financements importants non contrôlés, dans l'objectif d'influencer l'opinion publique". A l'entendre, les partis politiques qui gèrent d'importantes sommes d'argent sont "pour la plupart animés par l'opportunisme et le désir d'obtenir des postes". Et les financements politiques, qu'ils soient de l'intérieur, à travers des entreprises, ou de l'extérieur, vont imposer, nécessairement, des agendas bien déterminés qui risquent de ne pas servir les intérêts du pays. Ces financements, a-t-il ajouté, "vont aussi imposer une vision politique d'un groupe déterminé, ce qui est contraire à la morale de l'action politique et aux fondements de la démocratie" (tiré d'une dépêche TAP). Le propos est incisif et courageux. Il traduit un feeling largement diffus tant auprès de l'opinion que des observateurs. Les jeux semblent déjà faits, avant même qu'on n'ait commencé le processus. Et ce qui interpelle le plus, c'est le mutisme des partis politiques à ce propos. Eh quoi ! Des personnalités jusqu'ici inconnues débarquent sur la place, investissent les lieux, font miroiter des pactoles et s'avisent d'allécher la masse et la compagnie. Et personne ne s'en soucie outre mesure. Ni ne s'interroge sur les origines de ces mannes brandies à tour de bras. Et encore moins sur leur finalité réelle. Qu'est-ce qui explique cet étrange silence ? La connivence largement partagée ? L'inconsistance politique‑? L'hypocrisie ? Ou un cocktail de tout cela et de bien d'autres choses encore‑? L'argent est un palliatif en fait. Sur le papier, dans les interviews et rencontres entre partisans aux rangs clairsemés, les ténors des partis enflent le langage. Ils assurent qu'ils sont les plus puissants, les plus répandus et les plus brillants. Dans les faits, on peine à en retrouver la trace. Visiblement, l'enceinte des partis politiques gagnerait à être mieux connue sous nos cieux. Ce qui est une manière de mieux la décrypter. Il y a en fait trop de pelures, trop de semblants, trop de discours en trompe-l'œil. Cela interpelle à son tour les structures en charge de la transition démocratique. Elles semblent avoir réagi tardivement à ce phénomène. Ce n'était peut-être pas attendu avec l'ampleur qu'on lui connaît. Mais ce n'en est pas moins une incurie manifeste. Certes, les signes avant-coureurs ne se sont point fait attendre. On se souvient des passes d'armes que la nouvelle loi sur les partis politiques a suscitées. Plus précisément, le financement des partis politiques a été une véritable pomme de discorde. Chacun défend son petit clocher. Un clocher en or massif à bien y voir. Voici venu le temps des chapelles dorées. Les Tunisiens, eux, ne s'y reconnaissent pas. Ils entretiennent avec la richesse des hommes politiques un rapport de méfiance non déguisée. Laquelle méfiance peut facilement se transformer en aversion plus ou moins manifeste mais toujours réelle. Aujourd'hui, on peut dire que l'heure des entrepreneurs politiques a sonné. Ils occupent les devants de la scène. Ils n'hésitent pas à s'aviser de rameuter les troupes, organiser le ban et l'arrière-ban à coups de tours de passe-passe. Et de ressources sonnantes et trébuchantes. Reste à déterminer le degré de loyauté supposée des récipiendaires de ces largesses. Souvenons-nous : la puissance de Carthage avait été profondément ébranlée par ses mercenaires. Et nos peuples sont rompus à la posture de celui qui vend le singe et se moque volontiers de son acheteur. Des surprises ne sont guères exclues à ce propos. Certains en ont déjà fait les frais. La dérision malicieuse est une espèce de politesse rendue à celui qui s'avise de vous flouer. On perçoit presque toujours la monnaie de sa pièce. Nos partis sont prévenus. A leurs risques et périls.