C'est curieux. Quel que soit le contexte, à la fin du mois de Ramadan, les gens font les mêmes commentaires à propos de la fiction télévisuelle diffusée pendant le mois sacré. On parle de "réchauffé", on dit que "cette année, on n'a pas été gâtés", et on se demande, avec exclamation, "pourquoi est-ce que nous produisons toujours si peu de feuilletons ?!". Ce qui est encore plus curieux, c'est que ces commentaires sont souvent prononcés par des professionnels de la fiction télévisuelle. Comme si le secteur audiovisuel est une planète à part, qui échappe aux problèmes de structure, de gestion, de financement, de décision politique et de…créativité. On s'étonne encore du manque flagrant de compétences en matière d'écriture, de mise en scène et de jeu, et l'on crie au désastre lorsqu'on voit certaines signatures, qui n'ont rien à voir avec le domaine, paraître dans le générique, au-dessus des titres. Il faut avouer que la situation est à la limite du ridicule. Certaines télévisions se gargarisent de leurs succès précédents et d'autres font ce qu'elles peuvent pour être à la page en accordant l'antenne à des gags insipides sur la révolution. C'est à croire que du temps d'"Ommi Traki", la fiction tunisienne était plus révolutionnaire. Mais il n'y a rien d'étonnant dans tout cela. Si les 7 mois de post-révolution ont pu révéler quelque chose, c'est bien les conséquences énormes de l'absence de vision et de stratégie de production. Il faut dire que l'ancien régime n'en avait que faire. La fiction, tout comme les festivals et le foot faisaient partie d'une politique de " diversion ". Amuser le peuple était le mot d'ordre, pour que ce dernier n'ait pas le temps de réfléchir ou de zapper du côté des chaînes qui " lui cherchent la petite bête ". On sait mettre le paquet quand "Al Jazira" hausse le ton. Lorsque le régime se sent menacé, il jette de la poudre aux yeux. C'est dans ce contexte là qu'il se soucie — à sa manière — de sa " vitrine ". Peu importe le produit, il sait que le tunisien a soif d'images qui parlent tunisien. Peu importe qui fait quoi ni comment, la fin justifie les moyens. Résultat, nous nous retrouvons aujourd'hui avec une caisse vide, un imaginaire pauvre, et des faiseurs de fiction confinés dans des clichés et des stéréotypes. Le tout — et ce n'est pas pour nous contredire — forme réellement une planète à part, qui ne ressemble aucunement à cette Tunisie audacieuse et créative qui a fait la révolution. L'étonnement, dont on a parlé plus haut, vient peut-être de là. On dirait que toutes ces années de pression et d'oppression, de mensonges et de vidéo ont divisé le pays en plusieurs petits pays : l'un à l'image du régime, dictateur, opportuniste, mégalo et affamé, l'autre en colère prêt à se venger et un troisième qui a réussi à sauver sa tête. Espérons que ce dernier réussira également à sauver le pays d'une réalité qui dépasse la fiction.