Par Khaled TEBOURBI Discussion, l'autre soir avec nos jeunes confrères de Mosaïque FM, autour des feuilletons et des publics du feuilleton. Il s'agissait, en fait, d'évaluer les dernières productions ramadanesques, mais un peu par notre faute (mille excuses !), le débat a digressé sur les dramatiques télé en général : valent-elles un statut d'art ? Ont-elles, surtout, une utilité pédagogique ? On a observé, en premier, qu'en se soumettant à la loi des épisodes, quinze à trente selon «la commande», les feuilletons manquent, forcément, aux règles de la narration cinématographique. Les imaginaires diffèrent certes : au cinéma, la création est libre, alors que la fiction télévisuelle est davantage astreinte au réalisme. Trop de rallonges, trop de scènes gratuites nuit, cependant, à la vraisemblance et à la cohérence des récits. Pour cette seule raison, déjà, nombre de spécialistes rangent le feuilleton parmi «les arts mineurs», s'ils ne lui dénient sa «vocation artistique» tout court. Ce qui nous gênait, en l'occurrence, c'est que l'on ne prenne pas en considération ce défaut de base et que l'on s'occupe, d'emblée, d'évaluation. Autre réserve : le genre lui-même est passé d'époque. Il ne se pratique plus que dans les télévisions du Sud, dans des pays (ce n'est sûrement pas un hasard) où le gros des téléspectateurs à des «défenses intellectuelles» encore assez limitées. Partout ailleurs et plus spécialement en Europe et aux Etats-Unis, les «Nouvelas» ont depuis longtemps cédé sous la désaffection de publics devenus plus vigilants, plus sélectifs, moins «naïfs». Les «séries» et les «sitcoms» ont pris leur place sur le petit écran, confiées aux soins de juristes, de sociologues, de psychologues de haut rang et de scénaristes de métier, traitant de «sujets de proximité», allant au cœur des problèmes de société sans artifices ni rajouts superflus. La question dès lors (notre question à nous) est : pourquoi en restons-nous là? Pourquoi nous accrochons-nous à un modèle de fiction éculé? Pourquoi ne cherchons-nous pas à suivre le bon exemple des télévisions du Nord en produisant des dramatiques susceptibles d'améliorer le regard critique du téléspectateur? Reproductibles à souhait Que proposent, ensuite, nos feuilletons qui ait un rapport certain avec notre vécu? Il y a quelques années : que des «conflits d'héritage» dans le monde rural ou des histoires de familles citadines; depuis deux à trois saisons, dans le sillage d'un retentissant «Maktoub» de Sami El Fehri : que des versions «hard» des mœurs d'une nouvelle bourgeoisie . Le «tableau sociologique» semble complet: après la tradition, la modernité. Qui plus est, la satisfaction est unanime : les «scénaristes» sont convaincus de la pertinence de leurs textes, les producteurs et les réalisateurs croient, ferme, avoir fait œuvre utile, et le large public approuve et apprécie. Pourtant, à y regarder de plus près, et avec un peu plus de recul, ce à quoi nous avons droit a chaque Ramadan n'est que fiction reproductible à souhait. Les sujets reviennent, identiques, les situations et les personnages se ressemblent à s'y méprendre, les castings sont presque reconduits, jusqu'aux musiques de génériques, copiées les unes sur les autres. Même Maktoub qui augurait d'une «révolution de l'écriture feuilletonesque» n'a, finalement, enfanté que sa propre réplique. Où est l'utilité pédagogique dans tout cela ? Deux choses : ou la redite n'avait, a priori, pour but que de profiter des audiences, ou elle signifie, simplement, absence de propos. Le don des mots Claude Chabrol auquel on a fait des adieux émus, vendredi au «Père Lachaise», a fait, lui aussi, une incursion à la télévision. Mais une courte (Monsieur Liszt et Fantomas). un peu à la manière fugace (et seulement curieuse) de Hitchcoek, David Lynch, Bergman, Casavettes et Spielberg : les grands cinéastes n'aiment pas se sentir à l'étroit. Ce qu'il pensait de la télévision,on le devine à la conception qu'il avait de la mise en scène et du rôle de l'artiste. Il répétait sans cesse «qu'il ne faut pas chercher à abrutir, à tromper ou éblouir le public, car c'est là que l'on risquerait de voir sa propre inspiration tarir…» Outre le génie de la peinture sociale, Chabrol avait le don des mots. C'est bien cela qui fait que nos dramatiques tournent en rond. C'est qu'à force de cibler des «poches», elles tombent en panne d'idées.