Le spectacle de musique soufie du groupe iranien «Darvish Khan», donné dans le cadre du Festival de la Médina et qui a rencontré un franc succès, nous incite à développer en détail le soufisme. Né avec l'Islam, il s'est inscrit progressivement dans l'histoire et dans une réalité mystique. Pendant les premiers siècles, il fut une spiritualité discrète et ascétique, sans nom et sans statut social clair et reconnu, ne s'exprimant guère par des écrits. Les premiers mystiques furent des compagnons du Prophète qui désiraient approfondir leur foi et vivre la soumission à Dieu jusqu'à l'extinction totale en lui. C'est au IXe s., en Irak, que les soufis se regroupent autour de maîtres comme Djumaïd. A Bagdad, Hallaj, un mystique d'origine persane, est condamné et crucifié en 922, après avoir révélé une vérité scandaleuse pour les théologiens, et tenue secrète par les soufis. Son effacement en Dieu l'avait amené à dire : «Je suis la Vérité», autrement dit : il n'y a que Dieu, si bien que l'homme est fondamentalement un avec l'Unité divine. Dans les premiers siècles de l'Islam, le soufisme fut souvent combattu par les théologiens, qui l'accusaient d'hétérodoxie et de libertinage. Mais au XIe s., le théologien Al Ghazali, suite à une crise intérieure, trouva son salut dans la voie spirituelle soufie. Il opéra alors la jonction entre la théologie et le mystique ; si elle ne mit pas fin aux tensions entre religieux et soufis, cette conciliation favorisa le rapprochement intellectuel. Le soufisme a connu son plein épanouissement aux XIIe et XIIIe s. avec les œuvres de Ibn Arabi (1165-1241) et de Rumi au Mevlana (1207-1273). Représentants respectifs des versants occidental et oriental du soufisme, ils ont synthétisé l'essentiel de la tradition soufie, alimentée par plusieurs siècles d'expériences spirituelles. Ibn Arabi est né à Cordoue et mort à Damas. On lui doit les traités métaphysiques parmi les plus profonds et les plus amples. Selon lui, la multiplicité des êtres s'explique par l'unicité de Dieu. Il est l'auteur d'une conception mystique de la vie humaine, assimilée à un voyage vers Dieu et en Dieu. Sa philosophie influença des penseurs aussi bien chiites que sunnites. Rumi, enterré à Konya, en Turquie, est tout à la fois l'un des plus grands mystiques et l'un des plus grands poètes de l'Orient soufi.Le monde persan est un haut lieu du soufisme. Il s'y implanta profondément au Xe s. et devint très puissant le siècle suivant. Il ne cessa par la suite de s'étendre dans la société des Safavides et à la conversion du pays au chiisme en 1501. Dans l'âge d'or du soufisme persan, au XIIe et XIIIe s., Attar, Ruzbehan Shirâzi, Nézâmi, Omar Sohravardi, Shihaboddin, Saâdi ou Semmani ont laissé des poèmes, des traités et surtout des témoignages de spirtualité qui ont traversé les siècles. En poésie mystique, le XIVe s. s'est dominé par Hafiz et le XVe s. par Djâmi. Lorsque le chiisme devient la foi officielle de l'Empire persan safavide, le soufisme est déclinant. La dévotion portée aux derwiches se reporta sur les Imams et en particulier Ali et Hosseïn. Tombé en décadence aux XVIe et XVIIe s, dispersé et parfois persécuté le soufisme connut un certain renouveau avec Nur Ali Shah (1748-1798). Aujourd'hui, les confréries mystiques, de tendance sunnite ou chiite, sont toujours présents et activer en Iran. L'être humain dans le mouvement universel Présentées sous forme philosophique ou à travers des poèmes, les doctrines soufies sont d'une grande diversité. Elles comprennent la psychologie spirituelle, la connaissance des états initiatiques, la cosmologie, des sciences comme l'alchimie ou l'astrologie, et une métaphysique qui, s'abîmant dans le mystère divin, voit plus loin que la théologie. La sagesse soufie n'est pas le fruit d'un raisonnement, mais d'une vision contemplative que le soufi acquiert au fur et à mesure de sa progression spirituelle. L'Imam Ali formulait ainsi le principe de la connaissance : «Je connais Dieu par Dieu et je connais ce qui n'est pas Dieu par la lumières de Dieu». Si la pensée ne peut atteindre Dieu, l'âme peut le contempler en s'unissant à Lui. Au centre de l'âme, le cœur est comme un miroir noirci par les passions et les vices. Une fois purifié, la lumière divine l'envahit et illumine l'âme et le corps d'une certitude et d'une paix contemplatives. L'homme, alors connaît Dieu à travers la connaissance que Dieu a de Lui et de l'âme. Les enseignements soufis reposent sur un même corpus de vérités premières. Dieu seul est réel, alors que le monde et l'ego sont des illusions. Mais si le monde n'est qu'une ombre de l'Infini, il est également un symbole de l'invisible. La création est à la fois un voile qui cache Dieu et un vitrail qui révèle sa lumière. Entre la terre et l'Unité divine, il y a une multitude de mondes, semblables à des rideaux cachant la lumière éternelle. Si la théologie met souvent l'accent sur la nature inaccessible de Dieu, le soufisme, lui, révèle son immanence : la vérité ultime est la proximité de Dieu. Issu de Dieu, l'homme est appelé à revenir à son origine : l'existence est un voyage de Dieu à Dieu. Doué de raison et de volonté, l'homme est un petit monde qui peut devenir un reflet de la connaissance divine par sa spiritualité. L'univers (le macrocosme) et l'homme (le microcosme) se correspondent et s'interpénètrent jusqu'à l'imbrication. Toutefois, si la religion est un moyen de sainteté, elle n'est pas une fin en soi. Les soufis l'approfondissent jusqu'à la dépasser par l'union à Dieu. Musulman, le soufi sait aussi que Dieu est le soleil de tous les rayons. Aussi peut-il voir toutes les religions comme autant de paroles de Dieu autant de chemins vers l'Unité.