Par Amel ZAIBI Assurer une couverture médiatique équitable du processus électoral et garantir le respect des règles de bonne conduite médiatique au cours de la campagne électorale et le jour du scrutin, voilà un des grands objectifs que se sont fixés les trois instances créées après le 14 janvier pour gérer cette étape transitoire, mais aussi la société civile. Soit. L'objectif est on ne peut plus légitime, puisqu'il s'agit de satisfaire à une condition technique et éthique de réussite du processus électoral, en général,et des élections de la Constituante, en particulier. Mais là où le bât blesse, c'est que bon nombre de "démocrates", la plupart ne faisant pas partie de la profession, pensent que les journalistes tunisiens, qu'ils soient de la presse écrite ou des médias audiovisuels, n'ont ni la compétence ni la capacité de respecter cette condition du fait qu'ils se trouvent, pour la première fois de leur existence, confrontés à des élections libres et transparentes. Alors, tout le monde décide que les journalistes ont besoin d'être formés, d'être mis en condition, d'être libérés de leurs chaînes, de leurs anciens réflexes, de leur "ignorance" démocratique. Résultat : un nombre considérable de sessions de formation, auxquelles sont conviés à participer les "novices" de la démocratie, assurées par une marée d'experts et de formateurs venus de tous les pays (ou presque) d'Europe et même des Etats-Unis, exposer leur savoir-faire démocratique et inculquer aux journalistes tunisiens les abc d'une presse libre, indépendante et démocratique. Un véritable chantier est ainsi engagé et, à ce titre, si l'on ne doute pas du niveau de compétence de ces experts et de leurs bonnes intentions, l'on est tout de même en droit de s'interroger sur l'opportunité d'une telle abondance au niveau de l'offre de formation, d'autant que la plupart des organisateurs de ces sessions font le constat d'une faible présence de la population cible, autrement dit des journalistes. S'il est possible de comprendre le souci des commanditaires de ces sessions de formation, qui espèrent sans doute contribuer ainsi à la transformation du paysage médiatique tunisien en cherchant à le hisser au niveau des normes internationales d'indépendance, d'impartialité et de transparence en période d'élection, l'on est en droit de se demander si le journaliste tunisien d'après le 14 janvier a besoin de cette formation pour pouvoir veiller à la bonne marche des premières élections démocratiques de son pays ? Est-ce une simple formation de quelques jours qui est en mesure de le libérer des chaînes et de la muselière qu'il a portées pendant des décennies ? Apprend-on à devenir libres, indépendants et démocratiques en écoutant les autres parler de liberté, d'indépendance et de démocratie ? Incontestablement, le journaliste a besoin d'une formation de qualité toute sa vie, mais c'est en exerçant son métier en toute liberté, sans contrainte, qu'il apprendra à être libre de ses idées et qu'il fera sa propre mue. Or le journaliste a besoin d'indépendance pour être libre, pour pouvoir résister aux pressions. Certes, selon le mot d'ordre de la révolution du 14 janvier, la liberté veut qu'on puisse vivre de pain et d'eau... Mais pas dans la durée et pas au point de mettre le journaliste dans une situation de besoin : l'indépendance est aussi financière. On ne saurait perdre de vue cet aspect des choses. Les sessions de formation suscitées ont nécessité un effort financier conséquent. C'est assurément un bon placement. Mais que cela ne nous fasse pas oublier la situation de dizaines, voire de centaines de nouveaux médias qui ont fait leur apparition après le 14 janvier, à la faveur du vent de liberté qui a soufflé sur la Tunisie. Ces médias offrent à un grand nombre de journalistes l'opportunité et la chance de tirer un trait sur la précarité et de dire adieu à la marginalisation. Malheureusement, ils battent déjà de l'aile !