Par Khemais FRINI* Après deux siècles de dynastie husseinite, un protectorat qui avait sévi pendant quatre vingt ans, et malgré une éclaircie salutaire induite par l'ère bourguibienne, les Tunisiens sont-ils encore captifs et risquent-ils de succomber de nouveau au pouvoir absolu et à durée indéterminée ? Partant de la présidence à vie jusqu'à la série d'amendements éhontés de la Constitution induisant le renouvellement non-stop des mandats présidentiels, sommes-nous à la veille d'un vote irréversible pour une assemblée à pleins pouvoirs et à durée illimitée ? Les seules garanties devraient venir de la part des partis politiques. Ces garanties, nous dit-on, sont morales et politiques. Elles sont obtenues en bonne et due forme et signées par ces partis. Ces garanties sont censées résoudre la problématique du référendum qui a suscité des interrogations et des remous au sein de la société civile et même parmi les couches populaires. Il est bien dit dans la Déclaration des droits de l'Homme que le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme; ces droits sont la liberté, la sûreté, et la résistance à l'oppression. On n'avait donc aucune raison de croire le contraire pour le cas de nos partis, sauf que, à peine signées, ces garanties ont été balayées d'un revers de main par le représentant du parti Ennahdha en la personne de M. Samir Dilou. Celui-ci n'a pas hésité à rappeler sur une chaîne TV qu'il appartient à la majorité de l'Assemblée de décider de ces questions. Pour ne pas changer, cet avis a été relayé et partage par le représentant d'Ettakattol . Et, cerise sur le gâteau, ces représentants nous insinuent également que ce sera aussi un niet pour le référendum qui devra valider la Constitution une fois prête. Voilà qui est clair. En somme nous n'avons pas d'autre choix que de faire confiance à des politiciens qui, soit dit au passage, n'ont pas fait confiance au peuple et ont tout fait pour l'empêcher de s'exprimer en s'opposant farouchement au référendum. Pourtant il s'agissait d'un référendum dont le but est de fixer le programme de la transition démocratique et permettre au pays d'y voir plus clair pour les mois qui viennent. On se pose dès lors la question de savoir si le pouvoir absolu et à durée indéterminée est notre destinée ou une malédiction. Est-ce que cela est encore possible au moment où la révolution semble avoir rayé de l'histoire de la Tunisie moderne post-14 janvier une telle perspective ? Pour ne pas rester sur cette note pessimiste, car en politique le pessimisme est à écarter, je dois dire que tant que la liberté d'opinion et d'expression est encore acquise l'espoir de nous en sortir existe bel et bien. Méfions-nous donc de tout ce qui pourra toucher à notre liberté car il semble qu'elle est aujourd'hui notre dernière chance. Savoir aussi que seule la liberté peut limiter la liberté et non la sacralité. Cette liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui . D'un autre côté, la parade est entre les mains des électeurs. C'est à eux d'être vigilants. On doit savoir que nous sommes appelés à voter pour un modèle de société et l'enjeu est plutôt de civilisation et sociétal que politique. Les candidats doivent donc présenter, pour cette étape, plutôt que des programmes économiques et sociaux, un projet de principes fondamentaux de la future Constitution. Comme par exemple de placer la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen parmi les dispositions supra-constitutionnelles et la séparation des pouvoirs comme un principe fondamental. Ces candidats doivent se rendre compte que le petit peuple commence à saisir l'enjeu; 1.600 listes se présentent à lui, mais en réalité il a en face de lui deux projets de société. 1. Un modèle de société tolérante et moderniste profondément musulmane qu'il a toujours connue et qu'il voudrait transmettre à ses enfants et petits enfants 2. Un modèle de société animé par des partis politiques basés sur des références religieuses moralisatrices et rétrogrades en négation avec la liberté de conscience. Ce modèle est initié par des parties étrangères soutenues par des chaînes TV spécialisées. Les électeurs savent aussi que ces élections sont différentes des prochaines législatives. Et ils pourront voter différemment dans les deux cas.