Par Khemaïs FRINI Encore des discussions sur des vérités de Lapalisse. Quand des chefs de partis, docteurs de leur état, soutiennent que «le référendum est de nature à perpétuer une situation d'illégitimité». On a beau tourner et retourner l'argument dans tous les sens. Rien. Si la tromperie a ses limites, apparemment l'idiotie n'en a malheureusement pas. Pourtant, la question qui se pose est d'une simplicité telle qu'elle ne devrait pas susciter tant de passions. C'est vraiment disproportionné par rapport à l'enjeu. De quoi s'agit-il au fait. Le citoyen moyen et la masse des gens de petite condition doivent pouvoir suivre ce qui se passe. Après le 14 janvier, le Tunisien tient absolument à se débarrasser de toute forme de dictature et de tyrannie et est décidé à poursuivre la lutte contre la corruption. Il est convenu donc de reprendre de fond en comble les règles du jeu qui auraient directement ou indirectement favorisé cet état de fait. Bannir tout pouvoir à durée illimitée comme la présidence à vie ou les renouvellements sans cesse de mandats. De même que le pouvoir absolu et la corruption. Voilà, c'est tout ce à quoi on aspire. Craignant peut-être à juste titre qu'un référendum à l'égyptienne ou même à la 5e République française ne soit manipulé (excès de suspicion sans doute ) on avait suscité l'élection de la Constituante. Il fallait donc organiser la transition démocratique en conséquence, d'où l'Instance supérieure. Celle-ci, au-delà des actions qu'elle a eu le mérite de réaliser (le code électoral, l'Isie, etc.), devait préparer la réforme politique, c'est-à-dire assurer la transition démocratique. C'était sa mission principale et il fallait entreprendre une large consultation des citoyens, des partis et de la société civile et élargir le débat à tous les niveaux. Au lieu de tout cela on passait un temps précieux à calmer des esprits autoproclamés et super excités qui tenaient à débattre si nos origines étaient carthaginoises, berbères ou arabes. La commission ne put donc achever sa mission. Elle s'est contentée de préparer une seule étape de la transition démocratique, à savoir l'élection de la Constituante et occulter les autres étapes non moins importantes telles que les élections présidentielles, législatives, référendaires municipales… Il fallait au moins convenir sur leurs dates et leur déroulement. Les procédures et les dispositions constitutionnelles seront arrêtées bien sûr par la Constituante. L'Instance supérieure était tenue de proposer une programmation cohérente de toutes ces actions et leur interférence dans le temps. La Constituante n'étant pas un but en soi ni l'ultime étape, son élection doit s'inscrire dans une feuille de route globale, claire et précise. Cette feuille de route doit délimiter ses pouvoirs et la durée de ses travaux. Elle doit également préparer les conditions des autres élections ( comme la date du référendum par lequel le peuple devra entériner le projet de Constitution ainsi que l'élection, au suffrage universel ou au second collège selon la nouvelle Constitution, du président de la République, l'élection du nouveau Parlement, des municipales, etc. Il fallait aussi préciser la continuité de l'exécutif pour qu'il n' y ait pas de vacance de pouvoir. L'élection du président de la République ne peut se faire par la Constituante car cela constituera un cumul très fâcheux entre les pouvoirs exécutif et législatif et une anticipation sur la nature du régime qui n'est pas encore adoptée. Cela peut ouvrir la voie aux abus et engendrerait un sérieux dommage à la démocratie naissante et nous ramener à la case départ. En somme, le gouvernement actuel peut partir et être remplacé par un gouvernement qui aurait l'aval de la Constituante. Mais sûrement pas le chef de l'exécutif. Le mandat de celui-ci s'achèvera à la fin de la transition démocratique. La passation du pouvoir suprême se fera une fois que la nouvelle Constitution est adoptée. Tout cela aurait dû être à l'ordre du jour des travaux de la commission supérieure. Une feuille de route concoctée de cette façon est de nature à respecter les vœux les plus chers du peuple et les principes sacro-saints de la séparation des pouvoirs, seuls garants de la démocratie. Elle préserve la révolution contre tout dérapage vers le pouvoir absolu, garantit les intérêts suprêmes de la nation et est de nature à dissiper toutes les inquiétudes légitimes que ressent la majorité des Tunisiens. Malheureusement, cette feuille de route n'a pas été arrêtée. Elle n'existe pas aujourd'hui et l'Instance s'apprête à partir sur fond d'inachevé. Voilà pourquoi le citoyen est désemparé, on l'appelle le 23. Il va élire une assemblée dont il ignore tout, ni sa durée ni ses pouvoirs. Sauf qu'il y a tout juste 1.700 listes. Et il ne sait pas plus ce qui va se passer après. Il est donc nécessaire, faute de consensus, de décider par référendum le programme de la transition démocratique, l'argument technique de faute de temps ne tient pas la route devant l'enjeu. Seul le référendum est de nature à couper la route à toute tentative de conspiration partisane par coalition interposée vu qu'avec la limitation de la durée cette coalition n'aura pas le temps de prendre le large… En démocratie il n'y a jamais de consultation populaire de trop. Si la Constituante est une exigence révolutionnaire, le principe de la séparation des pouvoirs est une exigence démocratique. Toute exigence anti-démocratique ne peut être révolutionnaire. Entre l'une et l'autre des deux exigences, la Tunisie ne devrait pas être acculée à choisir, car choisir c'est renoncer et il n'est pas question de renoncer ni à l'une ni à l'autre. Qu'on engage donc tout de suite le vrai débat sur cette feuille de route. Si des partis ou des parties prenantes seraient contre ce programme, qu'ils se prononcent; l'électeur dira si oui ou non il est d'accord avec le déroulement de la transition démocratique qu'on lui propose. Ce programme doit être fait de sorte que tout sera achevé avant la fin de l'année 2012. Le citoyen est en droit de savoir ce qui va lui arriver. C'est tout de même le moindre respect pour le peuple et ses martyrs.