Par Malak SGHAIER * «La corruption est un problème mondial qui existe dans les pays à hauts et faibles revenus… aucun pays ne doit se sentir offensé ou contraint d'en parler». (Dr Hans V. Hogerzeil, OMS). La corruption est bel et bien omniprésente dans le secteur pharmaceutique tunisien. Ainsi, des docteurs et des pharmaciens se salissent les mains par des groupes pharmaceutiques et des laboratoires exerçant des pratiques contraires à l'éthique. La corruption est sans aucun doute un fléau qui gangrène le domaine de la santé publique et la crédibilité pharmaceutique est âprement contestée. Que recouvre réellement ce qu'on appelle corruption notamment dans l'industrie pharmaceutique ? Quel peut être alors l'impact d'une telle corruption sur le développement social et économique de la Tunisie? La mise en place des lois anti-corruption et des réglementations peut-elle être suffisante pour faire disparaître des pratiques et des habitudes amarrées depuis des dizaines d'années ? Une mince marge entre les politiques légales de marketing et les politiques anti-déontologiques utilisées dans le secteur pharmaceutique Le secteur pharmaceutique mondial est un marché d'une grandeur gigantesque qui représente plusieurs milliards de dollars chaque année. Au niveau national, le chiffre d'affaires de ce secteur s'élève à 350 millions de dinars en 2010 et atteindra 700 millions de dinars en 2014, selon les prévisions. Ainsi, les industries pharmaceutiques versent chaque année une somme d'argent très importante dans leurs stratégies marketing aux médecins en particulier dont une partie déboursée seulement pour sponsoriser les réunions et les congrès. Les manifestations et les journées de formation sont sans aucun doute l'instrument par excellence de la propagande pharmaceutique. Les visites médicales également sont un moyen puissant pour promouvoir les produits des laboratoires pharmaceutiques. Certes, l'impact sera bénéfique pour les entreprises pharmaceutiques, mais la différence entre des pensions absolument légales qui entrent dans cette politique de marketing et des pratiques illicites est parfois très légère. Les médecins prescrivent amplement des médicaments et constituent un marché très important que tentent de conquérir les multinationales pharmaceutiques. Cependant, les laboratoires dérapent et exercent des pratiques anti-déontologiques. Les délégués médicaux, de ce fait, ont un objectif bien précis : avoir la plus grande influence sur la prescription. Et pour ce faire, tous les moyens semblent être bons. En outre, plusieurs laboratoires demandent de leurs délégués d'aller faire visite aux médecins, juste quelque temps après une invitation à un congrès ou à un dîner pour acquérir la certitude d'avoir une influence concrète sur la prescription. Pour les pharmaciens, les laboratoires peuvent attirer leur attention en accordant des ristournes par une réduction sur le prix total, si le pharmacien achète X boîtes d'un médicament bien spécifique. Même si l'octroi des boîtes de médicaments gratuites aux pharmaciens est strictement interdit, ces pratiques sont devenues courantes. Cependant, il convient de ne pas généraliser. «L'exemple le plus récent de ces pratiques a eu lieu en Allemagne où des salariés d'un groupe pharmaceutique ont fait l'objet d'une enquête. Ces derniers ont été soupçonnés d'avoir reçu des pots-de-vin pour acheter des médicaments de ce laboratoire, dont la date de péremption était proche et les avoir ensuite revendus à un grossiste qui fournissait les pharmacies allemandes». Au niveau national, le secteur pharmaceutique tunisien est atteint d'une grave «avitaminose» d'un système pourri. A qui la faute ? Médecins, pharmaciens, laboratoires pharmaceutiques, ministère de la Santé, gouvernement, tout le monde est responsable de ce fléau autant qu'il est. Jusqu'à ce jour, aucune réaction et aucun intérêt de la part des preneurs de décision tunisiens n'est à noter. Le débat se fait de plus en plus décisif et virulent et ces pratiques contraires à l'éthique ne sont pas acceptables dans une Tunisie moderne et juste. La mise en place des lois anti-corruption est incontournable pour le secteur pharmaceutique tunisien La lutte contre la corruption est désormais inéluctable et la mise en place des réglementations et des lois interdisant les formes déguisées de pots-de-vin ne sont pas suffisantes pour éradiquer toute une culture amarrée depuis toujours. À savoir la circulaire adressée par le ministère de la Santé publique et qui n'a jamais été appliquée, ni eu de suites sur le plan pratique. En effet, des sanctions tangibles et plus strictes doivent être désormais mises en place à savoir une interdiction temporaire de commercialisation et une suspension d'autorisation de mise sur le marché des médicaments ou encore une interdiction de visite temporaire des médecins avec des amendes pour les laboratoires qui violent la loi. En effet, le modèle européen et américain doit être un exemple à suivre pour la Tunisie. Des sanctions d'ordre pénal et financier sont rigoureusement appliquées allant d'une amende de 30.000 euros à une interdiction d'exercer ou de commercialiser des médicaments sur le marché. In fine, l'industrie pharmaceutique tunisienne est à la croisée des chemins mais il demeure très ardu de lutter seul contre cette calamité qui prospère dans ce secteur et pour ces raisons, tous les acteurs impliqués –laboratoires, médecins, pharmaciens et gouvernement doivent jouer leur rôle en toute conscience.