C'est le fruit, un akène, d'un arbre des forêts méditerranéennes et d'Asie mineure, le châtaignier. Le châtaignier s'apparente au chêne, il vit aussi longtemps que lui et peut atteindre trente mètres de hauteur. Si le sud de la France, la Corse et l'Italie étaient, il n'y a pas si longtemps, les principaux pourvoyeurs en châtaigne, les choses ont bel et bien changé aujourd'hui. La Chine, la Corée du Sud, le Japon et l'Espagne les ont rejoints pour devenir les plus gros producteurs mondiaux. Bien que le châtaignier se soit bien acclimaté dans notre région, le Maghreb, notre part de la production méditerranéenne est, à vrai dire, minime. Cet arbre ne pousse que dans quelques-unes de nos forêts, celle de Fernana, près de Jendouba, ou celle de Makthar, dans la région de Siliana. Le qastâll, c'est le nom que nous avons donné à la châtaigne, n'est présent que sur les marchés des petites bourgades proches des forêts où il aime vivre ou chez certains marchands de fruits secs, dans quelques-unes de nos grandes cités, où réside la majorité des consommateurs. Pourtant, ceux parmi nous qui ont dépassé la cinquantaine doivent bien se souvenir de ce spectacle qui animait les rues de nos grandes villes par temps froid d'un petit monsieur généralement bien habillé, debout devant son charreton dans lequel il a installé un brasero sur lequel il a posé une poêle où des châtaignes se faisaient griller. L'homme haranguait les passants aux cris de «chauds, chauds, le marrons, chauds!». C'était à l'époque un grignotage de qualité par temps mauvais et grincheux. Les passants, en avalant les marrons brûlants, se réchauffaient l'estomac et le cœur. Châtaignes et marrons désignent la même chose en cuisine, même si le terme marron est généralement réservé aux fruits du châtaignier cultivé et appelé marronnier. Les fruits de ce dernier sont plus gros et plus lourds que ceux de l'espèce forestière, mais faut-il préciser qu'il ne faut absolument pas les confondre avec les akènes d'un autre arbre, le marronnier d'Inde dont les fruits sont toxiques. Châtaignes et marrons ne nous ont pas entièrement quittés. Nous continuons à trouver chez certains de nos marchands de fruits secs des châtaignes séchées que nos ménagères imbues de modernité utilisent dans la confection de douceurs dans l'air du temps. D'autres issues des vieilles familles citadines continuent, contre vents et marées, à les incorporer dans un vieux plat la qasstlia à base de viande d'agneau ou ragoût aux marrons. Ce même plat peut avoir d'autres dénominations, dont la fameuse m'rousia qui est un nom plutôt générique pour de nombreuses préparations dont la ressemblance se fait de plus en plus mince. Un autre petit sourire : les charretons vendant les marrons grillés qui font quelques apparitions encore timides depuis quelque temps. Bien entendu, le bonhomme n'est plus le même. Le nouveau venu est mal habillé, parfois même mal rasé. Le brasero a changé et le poêle en fonte a laissé place à un poêle très léger en fer blanc ; qu'importe ! L'essentiel est que nous avons commencé à renouer avec nos vieilles traditions méditerranéennes. Faudrait-il le répéter ? Nous sommes au cœur de la Méditerranée, et ce qui reste à faire est énorme. Protéger et sauvegarder nos forêts, bien gérer leur production et redoubler d'effort pour mieux présenter notre pays et son legs. Nous lançons un appel pressant à nos cuisiniers, à nos hôteliers et à nos restaurateurs pour qu'ils essayent ce vieux plat qu'est la marqat qasstâl. La saison des châtaignes est proche. Il suffit de s'en procurer et de dénicher de vieilles bonnes ménagères pour le concocter.