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La campagne dans nos foyers
Famille et politique
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 10 - 2011

Qui a dit que les familles resteraient insensibles à la politique ? L'autorité n'est pas dans leur sang, peut-être. Le pouvoir n'est pas dans leurs dynasties. Le militantisme n'est pas dans leur lignée. Leur rude quotidienneté les aspire. Et pourtant, ces "petites" familles tunisiennes ordinaires apprennent au jour le jour à gouverner le nouveau convive qui fait irruption dans leur intimité et s'invite à leur table : l'Etat et ses affaires…
Pourquoi et sur quels modes la politique imprègne-t-elle l'espace familial, depuis le 14 janvier et jusqu'à cette veille d'élections ? Immersion dans les nouvelles loquacités politiques d'une galerie de familles… très familière…
Ah si les candidats à la Constituante le savaient, ils auraient scandé "familles on vous aime !". Peu habituées à se l'entendre dire, les familles ne s'en offusquent guère. Il en est que la révolution a amputé d'un membre, ou blessé à la colonne vertébrale. Elles pansent leurs plaies ou font leur deuil, dans la douleur, avec l'aura des martyrs, en perspective. Il en est qui pleurent sans gloire un enfant avalé par les vagues de la nuit. Il en est qui simplement poursuivent comme si de rien n'était leur bout de vie ou trop rude ou trop vide pour contenir "un souci de trop… ou un débat de luxe". Il en est que cette fièvre politique naissante n'inspire en rien, du moins en paroles. Mais, il en est qui, très perceptiblement, s'éveillent à la politique.
Les études scientifiques et le recul historique nous le diront probablement dans quelques années. Ils viendraient explorer ces prémices aujourd'hui évidentes: les familles tunisiennes auraient subi, elles aussi et plus ou moins profondément, le cataclysme de la révolution. La politique a fait irruption dans leur intimité. Les affaires de l'Etat ont pris place dans quelque rang de leurs préoccupations. Pourquoi et sur quel mode ?
De quel côté se trouve le désir de démocratie ?
Elles ne sont qu'une petite galerie de six familles ; les B.A, les Kh, les N, les F, les M et les S… Elles viennent de milieux socioprofessionnels différents. Il y a l'intellectuel et le travailleur, la femme qui travaille et la femme au foyer, l'enfant qui étudie et celui qui attend son premier emploi… Elles habitent un quartier résidentiel ou la périphérie. Mais elles sont unanimes là-dessus : la révolution a répondu à une appétence au débat, un désir de parole, un besoin de placer son mot, d'avoir son ascendant et sa part de pouvoir sur un destin qui échappait à tous : " Il y a moins d'une année, on se calfeutrait et on s'assurait de l'étanchéité des portes et des fenêtres pour parler… Et encore si ce qu'on disait avait une réelle teneur politique…C'était de la détresse et du ras-le-bol… On ne savait plus vraiment vers où le pays allait… Chaque fin de mois, on s'inquiétait pour nos salaires et se partageait le bruit que les caisses de l'Etat étaient en train de se vider. On se tourmentait pour l'avenir de nos enfants. Mais, comme dans le pire des cauchemars, on restait immobile, ligoté dans l'incapacité d'agir, ou même de dire… "
"Il n' y avait que la famille et à peine quelques amis trop proches pour discuter… Mais, pour tout propos politique, on n'avait que de sombres comptes rendus de nos souffrances au quotidien dont on savait que le régime était responsable, mais aussi des frasques encore plus obscures de l'ancien régime, ses familles et ses clans dont on ne savait pas trop si c'était des affaires d'Etat ou des crimes ordinaires… Non, ce n'était pas du vrai débat politique, on le savait et on se retournait vers d'autres débats sur d'autres chaînes…".
Héritant d'une condition presque forcée d'espace de critique privé et d'un semblant de parole confiante et spontanée, la famille serait-elle en train de jouer sur la continuité ou sur une corde innée pour devenir un lieu tout aussi obligé ou privilégié de politisation ? Trop tôt pour répondre, certes. Mais, dans la verve politique de nos familles, il n'est pas besoin de mesurer la soif d'émancipation politique et de libertés pour se rendre compte qu'elle n'a rien à envier à celles des acteurs politiques les plus aguerris… A s'interroger : de quel côté se trouve le besoin de démocratie ?
Mode passionnel : la révolution les a clouées devant leurs postes…
Au commencement, la révolution est un spectacle grandiose et inédit. Interdit, il est regardé en famille en toute sûreté, en toute exclusivité. Aucun café, aucun lieu public ne l'a affiché. Vu son contexte et ses péripéties (couvre-feu, climat de terreur et d'insécurité, menaces de snipers), ce spectacle a réuni les familles entre elles et les a clouées devant leurs postes d'ordinateurs et de télé. Et cette exhibition grandeur humaine d'une histoire vraie qui n'arrive qu'à nous a été naturellement perçue sur un mode familial émotionnel, dans un climat affectif, amoureux (du pays, des jeunes martyrs, de la nouvelle liberté de manifester) … Au point de développer des addictions aux écrans télé et aux réseaux sociaux, aux comptes rendus journalistiques et aux vidéos partagés.
"On ne se pardonnait pas de rater une info, un débat, une image… C'est comme si on y participait. Les enfants avaient la primeur sur facebook. La télé en parlait après. Et puis petit à petit, la télé a repris place, non pas comme un divertissement habituel, mais comme un engagement que l'on ne connaît pas encore, une mobilisation avec l'information et par l'information…On se sentait acteurs… "
"Rien à voir avoir avec les actualités venant d'ailleurs auxquelles on s'intéressait, par procuration, jusqu'alors… Non vraiment rien à voir. On faisait nos premiers pas dans la politique de notre pays. Quelque chose nous impliquait pour la première fois, on apprenait à analyser, à pronostiquer, à chercher des solutions, à proposer des idées, on sentait qu'on avait le pouvoir de changer le pays…"
"Pendant la période de transition, les choses ont évolué. Il y a moins d'émotion et plus de raison… On regarde à nouveau les chaînes tunisiennes. On fait l'effort autant que faire se peut. On s'embrouille souvent. On s'essouffle au rythme des informations. Mais on vit, adultes et enfants, l'une des plus grandes leçons politiques qu'il ait jamais été donné à un peuple d'en vivre en moins d'une année : idées, opinions, droits, affaires d'Etat…"
Nos familles n'imaginent pas que leur révolution ait pu avoir lieu en d'autres temps et que la politique puisse se concocter loin des télés, radios, réseaux…
Comme un mégashow ou une fiction qui fait frissonner ? Pas vraiment ! Se défend-on. C'est du solide, c'est d'avenir qu'il s'agit.
Mode existentiel : les intentions de vote sur l'oreiller
Aussi, à mesure que l'on avance dans la transition et s'approche des élections, c'est sur un mode existentiel que nos familles abordent le présent et l'avenir politiques du pays. La campagne électorale, le propos des candidats et des partis, les choix imminents relèvent presque du tourment sartrien. Mais un tourment stimulant.
"Normal que l'on fasse ses choix politiques en famille, aujourd'hui. On n'a pas le droit de se tromper; c'est notre existence et l'avenir de nos enfants qui est en jeu. !"
"On rêvait de quelque chose de nouveau que les partis traditionnels ne sauraient nous donner. Peut-être que notre révolution devait inventer une politique différente de celle des partis… Les comités de quartier d'-après la Révolution c'était si bien. Tout le monde était responsable de tout le monde…"
"On se sent forcément plus intelligent que ses dirigeants. Mais puisque ce rôle doit être accompli par les uns ou les autres, on adhère aux uns ou aux autres… Les problèmes sont les problèmes ici, comme ailleurs. Les diagnostics sont les mêmes, les solutions et les programmes des partis se ressemblent. Alors on choisit parmi les candidats ceux qui inspirent confiance…"
Confiance ! Est le mot d'ordre qui court sur toutes les lèvres dans toutes les conversations. Rompues à l'épreuve de l'ancien régime, les familles repèrent aisément "les voyous de la politique", les hautains, les suffisants, ceux qui les sous-estiment… Elles se protègent, posent la frontière et la règle du jeu. Elles éliminent ceux qui ne conviennent pas à la phase et s'accordent à voter ensemble, à voter utile pour ceux qui semblent plutôt convenir… Voter utile ! Le mot ne se prononce pas vraiment ainsi. Il se définit jusque dans les intentions, jusque sur l'oreiller…
Mode délirant et mode critique
Mais croire que sur l'oreiller, les voix s'accordent toujours est une erreur. Il y a le mode solitaire, il y a l'union libre où chacun vote pour soi. Comme il y a le mode violent et délirant où les foyers élargis à la grande famille se transforment en agora. Dans leur majorité, les familles tunisiennes n'ont pas eu le temps ni l'idée de dévoiler entre elles leurs orientations politiques et idéologiques. Ce n'était pas le propos… Jusqu'au jour où… L'on se découvre. Du coup, tout est là : islamisme, laïcité, identité, féminisme, socialisme libéralisme… L'essence du débat le plus politisé, le plus pertinent et qui devient autrement plus concernant dans la promiscuité et l'intimité nue de nos foyers. Qui a dit que les idéologies sont mortes et que les familles n'en sont pas le microcosme vivant ? Le débat politique en famille s'invente. C'est un tout premier pas. A l'intérieur des foyers, des fois, c'est le branle-bas de combat, mais dans les limites du sacré lien de sang. Le débat chaud jette du froid sur certaines relations. Et ce n'est que le début. Et ce n'est qu'une Constituante. Aux présidentielles, et autres on se reverra. Entre- temps on aura appris à se rencontrer dans la dissonance et en dehors de la conformité habituelle, de l'unanimité…
A l'intérieur des foyers, l'unanimité n'est pas le fort des jeunes. Ils choisissent le mode critique. Ils ne se sont pas aussi massivement inscrits qu'on le croyait. Pour certains c'est comme de "trahir la révolution". Ce n'est pas que les élections ne les engagent point. Mais ils préfèrent rester "fidèles à la case révolution". Autant ils s'y sont reconnus, autant ils tardent à se retrouver dans le nouveau paysage. Outre ceux qui ont fait leur baptême politique en adhérant à des partis ou en conduisant des listes indépendantes, les jeunes semblent abandonner, pour un temps, la partie. Mais chez tous, les injustices parlent, l'indécence de l'argent indigne et il y a une vraie demande de justice, de valeurs, de régulation, de moralisation qui n'attend peut-être qu'un déclic pour être déclamée dans l'espace public et traduite en appétence politique.
Appétence qui fait qu'un Tunisien sur mille soit candidat à la Constituante et qu'une famille sur mille compte un candidat dans son ascendance, sa descendance ou sa fratrie… Et l'on se demande alors quelle limite il y a, aujourd'hui, entre le microcosme familial et le paysage politique intégral ?
Demain : entretien avec Chafik Ghorbal, professur de psychologie sociale


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