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Histoire de l'Etat ou scorie de l'histoire ?
Vie privée des hommes politiques :
Publié dans La Presse de Tunisie le 24 - 03 - 2011


Par Leïla Temime Blili*
Par ce temps de révolution où les événements s'accélèrent, l'histoire a été peu sollicitée et insuffisamment interrogée. Est-ce à dire que le passé ne nous enseigne rien sur le fonctionnement des Etats, sur les limites de leurs pouvoirs et leurs dérives ou sur les mécanismes de fabrication de la citoyenneté ? Il va de soi que cette discipline dont l'un des objets de réflexion est de saisir les ruptures politiques, donc les révolutions, conserve un arsenal d'exemples à méditer, à comparer et analyser. Mais sur quoi l'interroger pour apporter une contribution à la réflexion autour de cet événement majeur que notre pays est en train de vivre ? Nous avons choisi un registre, très sollicité par l'actualité, celui de la vie privée des hommes de pouvoir et son interférence sur le fonctionnement politique. Ce n'est ni du voyeurisme, ni la poubelle de l'histoire, c'est un pan entier de l'historiographie, que nous avons longtemps occulté au profit d'une histoire institutionnelle, celle de l'Etat et ses instruments, en se refusant d'y intégrer les questions de femmes et de familles. A cette posture, l'actualité oppose un démenti cinglant : comprenons-nous le règne de Ben Ali si nous dissocions l'homme de ses mariages, de ses alliances, de ses gendres et beaux frères ? La pieuvre, constituée par les parents proches et éloignés du chef de l'Etat, qui s'est étendue à tous les secteurs de la vie politique, économique et culturelle, est-elle un accident de l'histoire, sans précédent, et ne risquant pas de se reproduire, ou une forme inévitable de l'exercice des charges politiques dans un pays arabe et musulman ?
Poser une telle question n'est pas sans pertinence. L'imbrication du politique et de la parenté sont des pratiques spécifiques aujourd'hui encore aux sociétés arabes et islamiques où les solidarités familiales de type traditionnel sont plus fortes que d'autres formes de liens sociaux pouvant se développer en dehors du champ de la parenté. Nous assistons au cours de ces dernières décennies à la mise en place de républiques monarchiques, nouveau modèle inventé de plus en plus par des dirigeants arabes qui refusent l'idée de céder le pouvoir, balayant ainsi les aspirations démocratiques . Leurs femmes sont-elles derrière ces choix monarchiques ?
Les réponses à de telles questions appellent nécessairement à quelques notions théoriques, sans quoi les analyses que l'on en fait restent sans corps ni substance. Ces théories, nées en Occident, sont des grilles de lecture, auxquelles on continue à se référer, pour les admettre ou les réfuter : la vieille théorie du despotisme oriental, malgré ses extravagances et ses «turqueries», demeure utile pour formaliser le lien privé/ public .Levons d'abord une équivoque : loin de nous l'idée d'assimiler le règne qui vient de tomber au despotisme oriental décrit par Montesquieu et d'autres philosophes du siècle des Lumières. Le procès de cette théorie comme produit de l'imaginaire fantasmagorique de l'Occident sur un Orient imagé, suave, sexuel, mystérieux, a déjà été instruit. Tout juste, rappelle-t-on quelques unes de ses observations. La première nous démontre que le pouvoir sultanien s'enracine dans l'autorité qu'un père exerce sur ses enfants, sur sa femme et ses esclaves dans le cadre domestique. Le palais du prince fonctionne avec les mêmes règles qu'une maison, lieu centralisé à l'extrême, drainant les richesses du pays qui viennent s'y engouffrer. Le despote gouverne une multitude de sujets, écrasés d'impôts, prêts à mourir pour lui, non pas sous la contrainte, mais dans une servitude volontaire, semblable à celle que l'on doit au père. Comment le prince obtient-il cette soumission ? Sa personnalité est-elle si terrifiante ? Est-il un miracle de la nature ? Loin de là ! Le despote est souvent ignorant, lâche, efféminé et stupide. Il est rarement bon pour gouverner car il passe sa vie dans la jouissance matérielle et physique, et se décharge sur ses vizirs pour les questions de gouvernement. Quant à l'économie despotique, elle est aux antipodes d'une économie libérale saine. L‘échange de marchandises et la circulation de la monnaie sont pervertis par une captation des biens à travers les confiscations et les meurtres. Conséquences, un appauvrissement général et l'enrichissement d'un seul. Les revenus de l'Etat sont dilapidés pour les besoins personnels du despote et en gratifications à son entourage.
Ce sombre modèle politique prit pour référence l'Empire ottoman, sur lequel les philosophes européens disposaient d'une immense littérature constituée de correspondances diplomatiques et de récits de voyages. Les Musulmans y sont décrits comme des êtres passifs qui acceptent le despotisme sans réagir. Les souverains, faibles, sont dominés par leurs passions, entendons par là les passions sexuelles, négligent les intérêts de l'Etat et de leurs sujets, dilapident les biens «publics» dans l'assouvissement de leurs vices.
Si nous avons fait le détour par cette vieille théorie, c'est qu'elle nous permet de retenir la pérennité du palais, du sérail ou des « néo-harem » comme lieu de pouvoir politique dans les nouvelles autocraties. Pour rester dans le monde musulman, les études historiques, relatives à l'empire ottoman ont pu démontrer que des décisions politiques importantes pouvaient être le fait des épouses et des mères de sultans. L'histoire ottomane n'a jamais nié le rôle des femmes dans l'exercice du pouvoir. Seulement cette reconnaissance est toujours présentée sur un mode négatif : les femmes sont responsables de la ruine par leur goût immodéré des bijoux et du luxe ; elles sont à l'origine de meurtres et d'assassinats pour transmettre le pouvoir dans leur propre descendance ; elles sont responsables du déclin de l'Empire.
Quant à l'histoire de la Tunisie, elle a porté peu d'intérêt à l'histoire des sérails, comme si ses hommes politiques avaient agi, construit, loin de toutes attaches familiales, loin de tout rapport de parenté. On peut comprendre ce déni par la volonté de rompre avec les théories orientalistes, qui accordent une part trop belle aux harems, lieu d'un pouvoir absolu complètement soumis à la sexualité. Cette image n'a pas totalement disparu. Les travaux d'auteurs occidentaux nous y ramènent, avec beaucoup de subtilité : l'ouvrage sur Leïla Ben Ali ou informations diplomatiques, diffusées à travers WikiLeaks, mettant l'accent sur les réseaux Ben Ali les Trabelsi. Ainsi, notre information sur la vie privée de ceux qui nous gouvernent est toujours tributaire de l'extérieur !
Face à une histoire immédiate pleine de scandales, prenons garde à ne pas fixer cette image inquiétante de femmes usurpatrices et manipulatrices, travaillant dans l'ombre à saper l'autorité des hommes
La conjoncture immédiate, celle de la Tunisie depuis la chute de Ben Ali, nous fait découvrir un mode de fonctionnement du pouvoir assez surprenant. La superposition spectaculaire entre la vie politique et la vie privée est à ce point frappante que l'opinion publique se demande où se trouvent les lieux et les espaces réels de l'Etat. La libération de la parole a permis la mise à nu de réseaux invisibles, de passerelles entre lieux officiels et retranchements occultes, où officient des conseillers du prince. L'invisibilité du vrai pouvoir déconcerte plus d'un. La société découvre également avec effarement l'accumulation de richesses, l'utilisation immodérée de l'argent «public» pour servir des appétits ostentatoires. Autres révélations qu'une curiosité, somme toute légitime, sur la famille régnante, a permis de dévoiler, les pratiques matrimoniales assez «désordonnées» qui ne se conforment pas au discours moderniste que le pouvoir donne de lui-même à travers les apparences, la législation de la famille, les organisations féminines mises sous l'autorité de l'ancienne première dame.
Quelles sont les normes familiales dans les franges avancées de la société ? Le recul de l'âge au mariage en raison d'une scolarisation poussée des jeunes. Une famille monogame stable fondée sur le sentiment amoureux et sur l'émancipation de la femme par le travail et non pas à travers la procréation. Ces principes puisent leurs sources dans le Code du statut personnel, promulgué le 13 août 1956, qui a nourri le discours de légitimité nationale et républicaine depuis un demi-siècle. Depuis cette date, les mariages se concluent avec le consentement des conjoints, un âge légal est requis, la polygamie est punie par la loi et le divorce est judiciaire. Ces mesures sont accompagnées d'une large scolarisation des enfants des deux sexes, jusqu'aux régions les plus reculées, et d'une généralisation du planning familial. Les effets conjugués de toutes ces mesures, a, en effet, donné à la société tunisienne une coudée d'avance sur d'autres peuples de la région. La modernisation de la société à travers les changements familiaux est donc le trait le plus perceptible de la Tunisie, que le pouvoir de Ben Ali a, en théorie, renforcé par les amendements introduits au Code en 1993.
On est en droit de s'attendre, attente quelque peu naïve, que le «palais», défenseur des normes en matière de droit et de pratiques familiales, fournisse un modèle de bonne gouvernance dans ce domaine et applique les règles normatives aux propres membres de la famille régnante : le chef de l'Etat ne doit-il pas donner l'exemple en gérant sa vie privée conformément aux règles qu'il contribue à édicter ? Que découvre-t-on avec effroi ? Des vies familiales désordonnées pour le prince et son entourage : mariages successifs, divorces, remariages, concubinages, enfants illégitimes, abandon de rejetons, unions précoces, naissances nombreuses chez les toutes jeunes femmes, grossesses tardives pour d'autres, fortes rivalités entre frères utérins et consanguins, entre vieux et jeunes gendres, usurpations d'identités (les neveux par les sœurs de l'ex-président se font appeler Ben Ali et occultent l'identité de leurs pères).
Le citoyen incrédule découvre que la république fonctionne avec deux leviers, l'un institutionnel et gelé, l'autre informel, dynamique et prospère. Le premier était au service du second, c'est même sa principale nouvelle fonction. Les connexions entre ces deux leviers sont demeurées incompréhensibles tant que l'écheveau imbriqué des relations de parenté du chef de l'Etat n'a pas été démêlé : le fonctionnement des différents rouages de l'Etat, de l'administration au système bancaire, deviennent plus intelligibles une fois déterminée la toile d'araignée tissée autour du président et formée par ses épouses, ses descendants, ses collatéraux et alliés. C'est alors que l'on saisit le rôle de l'entourage familial immédiat, en vue d'asseoir l'autorité, d'augmenter les allégeances, de multiplier les prête-noms dans les affaires économiques et financières. Mais pas seulement. Le pouvoir a besoin d'une reconnaissance symbolique obtenue par le jeu des alliances avec des familles plus anciennes et mieux reconnues. Ce besoin de dorer un nouveau blason, se réalise à travers les «stratégies matrimoniales», savamment mises en place. Une telle pratique sociale implique souvent des mariages très précoces, la famille princière ne peut attendre que les jeunes filles terminent leurs études : pourquoi perdre du temps dans les universités ? La bonne société tunisienne accorde une grande valeur aux diplômes et à la méritocratie ? Qu'à cela ne tienne, une administration complaisante délivrera les certificats de bachelières et même de doctorats pour ceux et celles qui ont tôt abandonné les bancs de l'école. Autre contrainte de ce type de stratégie, la nécessaire épuration des anciennes unions devenues «inutiles» : une forte divortialité accompagne la mise en place du régime politique où on «libère» les hommes et les femmes, déjà mariés, pour les «réutiliser» dans de nouvelles alliances, et pour reprendre une expression anthropologique, assurer une «grande circulation des femmes et des biens».
Tout cela évoque pour l'historienne que je suis, une impression de «déjà vu», à des époques reculées. La famille au pouvoir au XXIe siècle use-t-elle des mêmes moyens pour gouverner que les familles beylicales au cours des siècles précédents ? Ces pratiques seraient-elles inhérentes au fonctionnement du pouvoir politique en Tunisie et font-elles partie d'un héritage que la modernité n'a pas chassé ?
Non ! Aucun atavisme n'est permis. Le pouvoir qui vient de tomber fait partie des régimes dits néo-patrimoniaux qui se distinguent par une sorte de privatisation de l'Etat. Ce mode de gouvernement, anti-démocratique et corrompu utilise les femmes et les enfants pour se constituer le réseau indispensable à son fonctionnement. Cela ne veut nullement dire que l'association des femmes au pouvoir se traduit par la ruine et la corruption. Commençons par admettre que dans l'intimité du sérail, les femmes et les hommes sont associés, et que les intrigues et les complots ne sont pas exclusivement féminins : la question concerne moins l'appartenance sexuelle que la transparence politique qui nous protège des intrigues d'alcôves. A cette condition, nous n'aurons plus besoin de répondre au vœu pieu de notre jeunesse, exprimé avec beaucoup d'humour dans les réseaux sociaux, d'un président stérile et sans épouse.


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