Avec beaucoup d'élan, de gratitude et de sentiment, Aymen Hacen a composé un patchwork de portraits des poètes arabes anciens et français qui l'ont intimement marqué au point d'avoir façonné par l'esprit son caractère et pétri par un orgueil contenu son œuvre A l'instar de la «présence réelle» du corps et du sang du Christ dans l'encharistie, symbolisés par le pain et le vin, Présentielle, titre choisi par Aymen Hacen, exprime sans doute deux raisons essentielles pour lesquelles il prendrait le maquis, s'exilerait loin de tout ce qui le retient et irait jusqu'à renier père, mère, famille et amis : l'encre noire et le vin rouge. Parce que sa plume se nourrit de l'encre noire et son sang, lui, de vin rouge, l'auteur (né à Hammam-Sousse, il est poète, traducteur, essayiste, animateur de collection, enseignant de littérature française et journaliste culturel), en intellectuel visionnaire, entretient une relation viscérale avec ce breuvage divin à l'amère saveur, à l'image de celle de l'écrivain français, Raymond Dumay aux yeux de qui le vin, loin d'être une vulgaire marchandise, demeure l'ultime garant de la civilisation; il va jusqu'à affirmer que «si le vin chute, l'art n'est plus qu'un infirme». Et la civilisation. A propos des chantres ou défenseurs de la prohibition aux USA (1919-1933), Elie Faure, historien de l'art et essayiste français, écrivait : «La tristesse de la vertu s'étend comme un voile noir». Aymen Hacen se montre catégorique: s'enivrer signifie qu'on peut voir ce que les autres ne peuvent ni voir ni rêver. Et il s'interroge : «Mais à quel titre, au nom de quoi, de quel dieu, de quelle loi se permet-on de nous refuser l'ivresse? Sans doute l'ivresse du pouvoir est-elle derrière toutes ces exactions, ces diktats qui, au nom de je-ne-sais-quoi d'erroné, du moins fallacieux, se permettent de nous assoiffer, de réduire au silence nos bouches d'amoureux de l'amère saveur de la boisson». Fragments du déjà-vu Par fragments ou bribes saisis d'instinct et arrachés en toute spontanéité à des instants de vie, Présentielle est un poème mais en prose, non exempte de rythme, de musicalité et aussi de nostalgie où il a évoqué avec beaucoup d'émotion l'idée de la mort qui «palpite en moi en toute saison et au-delà du temps. La vie qui brûle en moi tel le soleil intérieur qui ne se couche jamais. La mort, cette fugue ou escapade où la vie et la mort ne font qu'une. Une fugue où la vie annonce la mort et la mort engendre la vie». L'auteur a été profondément marqué par Le livre des déserts du poète français, Hubert Juin (paru chez Falaize éditions, Paris 1957), déroutant par le souffle ô combien épandu qu'il anime et qu'il déploie en nous. Un désert dont parle Nietzsche, Le Désert gagne, avance ; malheur à qui porte en soi des déserts». Un désert inculte où rien ne pousse et à ce propos, Aymen Hacen paraît désolé par la précarité intellectuelle de ses étudiants qui se manifeste dans leurs copies : «Aucune culture, nulle trace de livres lus ni de dictionnaires consultes et encore moins de films dignes de ce nom vus et pourquoi pas vécus… C'est le désert». Et dans cette quadrature du cercle, un cas presque impossible à résoudre, le désert, le même que celui dont parlent Juin et Nietzsche, devient source de lumière et d'inspiration, l'espace qui a vu éclora belle poésie d'Imrul-Qays, Zouheïr Abi Sulma, Tarafa Ibn Al Abd, Chanfara et Antara, l'esclave noir auteur de ce sublime quatrain. «Ne me sers pas l'eau de la vie dans le déshonneur. Mais sers-moi, dans l'honneur, une coupe amère; L'eau de la vie, dans le déshonneur, est comme l'enfer Et l'enfer, dans l'honneur, est la meilleure demeure» Dans une prière pour le repos de l'âme des grands poètes qui ont laissé une empreinte dans son âme, ce requiem, écrit en Europe de 2007 à 2009, est un hymne à la vie en dépit de l'exil, des malentendus, des différences et de toutes sortes de frontières menant à la mort dans la solitude, l'incompréhension et l'indifférence. ––––––––––––––––––––– * Présentielle de Aymen Hacen Editions Walidoff, 1er trimestre 2010