Le temps est à la fraîcheur. Dans quelques jours, un petit commerce, parmi les plus pittoresques, va reprendre du service après avoir volontairement cédé la place à d'autres activités, parfois même dans la même échoppe, celui de la bouillie de sorgho, une crème épaisse servie très chaude à ses amateurs qui l'apprécient comme premier repas du jour par les matinées froides. Le marchand, avant de servir ce mets brûlant, le saupoudre l'un condiment, exotique et familier à la fois qui est de rigueur dans les endroits où la tradition est respectée. Il s'agit du gingembre pilé, que marchands et clients appellent communément skânjbir. Le gingembre est une herbe cultivée dans les pays chauds. Elle ressemble à un roseau de 1,50m. C'est sa racine, un rhizome, qui est consommée depuis des millénaires comme aromate, mais aussi comme médicament et, surtout, comme produit aphrodisiaque. Passé des pays asiatiques à l'Europe du temps des Croisades, le gingembre n'a certainement pas transité par nous, d'où notre mauvaise connaissance de ses propriétés et ses utilisations. Nous ne l'associons, à notre connaissance, qu'à la bouillie de sorgho, et à rien d'autre. Sans parler des Chinois et des Indiens, qui en font une panacée, les Européens, en connaisseurs des produits fins, sollicitent le gingembre dans beaucoup de mets qui sont devenus avec le temps typiquement européens, comme les pains d'épice, les gâteaux secs, les tartes, des bières au label britanique. Bien sûr, habitués aux autres épices asiatiques connus chez nous avant le Moyen-Age, comme le poivre et le girofle, nous n'avons pas aimé le skânjbir, outre mesure, alors que notre texte fondateur, le Coran, en fait l'éloge; c'est le zinjâbil de la tradition . Certainement que le développement d'une certaine religiosité, ces dernières années, a été accompagné par un engouement tout récent pour les produits et mets de la tradition dont le gingembre. Alors que nous n'avons connu le rhizome qu'à l'état sec, voilà qu'il est désormais largement disponible frais. Comme pour beaucoup d'autres produits, c'est le secteur informel qui sert de baromètre. Quand il s'empare d'une denrée, celle-ci est alors appréciée et abondamment répandue. Le secteur organisé prend du coup la relève, sachant que le consommateur est déjà gagné, sans effort, faut-il le souligner. Ménagères et cuisinières commencent à utiliser le gingembre dans la seule bouillie de sorgho tout en cherchant d'autres accompagnements. Si nos chefs, plutôt par imitation de ceux de l'autre rive, se sont mis à incorporer ce condiment dans leurs créations d'une main un peu lourde qui atténue parfois sa saveur légèrement poignante et tiède, il n'en n'est rien encore pour nos ménagères qui semblent être dans le flou. Nous leur suggérons de n'acheter le skânjbîr frais que chez des marchands patentés. Les rhizomes doivent en effet être fermes, sans moisissures. Pour le conserver, il suffit de le mettre en bas du réfrigérateur, mais pas plus de trois semaines. Le rhizome se congèle facilement à condition qu'il soit vraiment très frais ce qui est difficile pour la Tunisie, qui est très loin des principaux pays producteurs. Pour l'incorporer aux préparations tunisiennes, douces ou salées, comme le couscous ou les pâtes, il faut d'abord le peler, puis le râper. Cru, comme il peut être cuit avec le plat lui-même à condition de le mettre en début de cuisson, pour ne pas donner à la préparation un goût un peu trop prononcé. Ceux qui n'aiment pas le piquant peuvent l'ajouter en fin de cuisson. A chacun son goût!