Quoi qu'on fasse et même dans les pays les plus rigides en la matière, le contrôle économique est d'une efficacité très limitée contre les fraudes commerciales. Chez nous, le consommateur doit redoubler de vigilance en faisant ses courses durant le mois de Ramadan puisqu'en même temps les commerçants redoublent d'ingéniosité pour le gruger de toutes les manières possibles. En ce moment, le Tunisien doit faire très attention en achetant les pâtisseries de ses soirées ramadanesques. Bientôt, ce sera l'Aïd, il lui faudra là aussi se méfier des arnaques très répandues (Même si les services administratifs de lutte contre la fraude font preuve de célérité) en cette période de fêtes. Les plus courantes ont trait à la farce de certains gâteaux. En effet, comme il est difficile de vérifier à l'œil nu s'il s'agit de la bonne garniture, et que le jeûneur ne peut pas soumettre à l'épreuve du goût le gâteau demandé, celui-ci se fie aux apparences extérieures du produit et l'achète, croyant par ailleurs que durant le mois saint, les amateurs de fraude observent leur trêve annuelle. Erreur impardonnable et coûteuse : c'est pendant Ramadan et les Awacher** que le marché des fraudeurs connaît sa période la plus florissante. « Samsa » pour chats errants Il y a seulement trois jours, nous avons acheté à un pâtissier de Bab Souika un kilo de « samsa », gâteau traditionnel farci, en principe et selon les coutumes ancestrales, d'une pâte miellée de grains de sésame. Nous demandâmes au commerçant avant qu'il nous livre la marchandise si la farce était bien la bonne ; celui-ci nous répondit presque dédaigneusement : « Vous en connaissez une autre pour la samsa ? On est au mois de Ramadan, quand même ! ». Nous rougîmes de l'offense causée au commerçant et lui fîmes confiance pour nous choisir les gâteaux qu'il voulait. Après la rupture du jeûne, nous dégustâmes la première pièce de samsa, elle était farcie avec des restes de « zlabia » et de « mkhareq » (autres pâtisseries de chez nous très prisées au mois de Ramadan). Il n'y avait pas la moindre trace de grains de sésame dans la deuxième pièce non plus. Les autres membres de la famille constatèrent chacun à son tour l'escroquerie : le marchand de Bab Souika s'était tout simplement payé notre tête avec les débris invendus et invendables de ses autres gâteaux. Comme quoi, pour un bon commerçant de chez nous, rien ne se perd des produits du magasin même de ceux qu'on destine habituellement aux poubelles et aux chats de la rue ! Boisson déshydratante ! Une autre astuce est largement répandue dans les cafés et restaurants en ce mois de Ramadan pendant lequel les consommateurs aiment retrouver les saveurs des vrais produits naturels. Lorsqu'on vous sert du thé à la menthe dans ces locaux, la boisson servie est préparée avec une dose d'absinthe sauvage (« chih ») suffisamment déshydratante pour vous donner une envie pressante de boire de l'eau avec. Effet généralement instantané qui, pour le commerçant, multiplie les chances de vendre de l'eau minérale avec le thé. Quant aux amateurs de thé aux pignons, on leur sert généralement des fruits secs avariés et au goût désagréablement amer. Il va sans dire que la quantité des grains trempés dans ce thé « spécial » ne justifie jamais la différence de prix avec la boisson servie sans le fruit. Les crèmes pâtissières ne sont pas en reste, notamment lorsqu'on vous dit qu'elles sont saupoudrées d'amandes ou de pistaches moulues. Très souvent, s'il s'agit d'authentiques amandes et de véritables pistaches, on en vous sert surtout la peau et les débris de la coque lesquels vous collent au palais et entre les dents quant ils ne vous blessent pas la langue et les gencives. On fraude aussi dans les grandes surfaces : sur leurs rayons, vous pouvez tomber sur des pots de yaourt ou des tablettes de chocolat qui ont dépassé la date limite de consommation ou bien qui s'en sont dangereusement rapprochés ! Les fraudeurs du futur ! Terminons avec cette anecdote ramadanesque rapportée par un membre influent de l'Organisation de Défense du Consommateur : grand amateur de figues de Barbarie, notre homme voulut en acheter au marché de Lafayette. Mais il constata que les prix proposés dans le coin étaient excessifs par rapport aux tarifs pratiqués ailleurs. D'ailleurs, il nous a priés de soulever une remarque sur les abus quotidiens enregistrés dans ce « faux marché de luxe ». Il résolut donc d'acheter son fruit préféré chez les marchands ambulants. Le premier qu'il aborda était jeune et exposait ses figues dans des sceaux en plastique à contenance réduite. Il lui demanda de lui en vider un ; ce que le jeune vendeur fit un peu à la hâte pour cacher à son client les nombreuses pièces pourries ensevelies au fond du sceau. Pour son malheur, l'escroquerie ne passa pas et l'acheteur alla acheter le fruit chez un autre marchand. Ce dernier, beaucoup plus âgé et visiblement honnête, prit soin de déverser tout le contenu du sceau sous les yeux de son client et jeta par terre une figue légèrement avariée qu'il dénicha dans le tas. Le responsable de l'ODC en tira l'enseignement suivant : le pire à craindre, c'est la propension des jeunes générations de commerçants à frauder systématiquement. En plus des efforts consentis par le ministère du Commerce et de l'Artisanat et l'ODC pour sévir contre la fraude commerciale, une participation du consommateur à ce genre de campagne est plus que souhaitée, conclut notre interlocuteur lequel recommande la vigilance et le sens de la mesure, qu'il s'agisse de Ramadan, de Awacher, d'Aïd ou de n'importe quelle période de l'année. Badreddine BEN HENDA
** L'expression vient du chiffre arabe « Achara » (10) et désigne chez nous la décade qui précède ou suit le mois de Ramadan et aussi les grandes cérémonies religieuses. Les Tunisiens confèrent à ces dates presque autant de valeur sacrée qu'au mois du jeûne et aux différentes fêtes de l'Islam.