La Fédération tunisienne des arts plastiques (Ftap), après l'octroi de son visa le 16 août dernier, a fait une entrée fracassante dans la scène artistique, le lieu choisi se situe au rond-point commun des avenues Habib-Bourguiba et de la République, sous le pont. Aussi, les plasticiens ont-ils concrétisé le rêve des précédentes générations qui souhaitaient faire parler les murs des villes et des villages tunisiens, en leur insufflant une vie et une dimension plastique et poétique. La conception générale de ce projet porte sur un ensemble de fragments picturaux qui se manifestent à travers un rythme mouvant, en réagissant avec la dynamique vitale du quotidien et son frémissement dans la rue, sous ce pont périphérique du TGM, très significatif. Les effets picturaux de ces interventions artistiques, élaborées par un groupe de plasticiens tunisiens, à savoir Abdelméjid Ben Messaoud, Khalil Gouiaâ, Mourad Harbaoui, Brahim Azzabi, Samir Fitouri, Abdelmonem Sehili, Walid Zouari et Jamel Abdennasser sont le produit d'un lexique de signes graphiques et chromatiques réduits, inspirés du poème: «Les chants de la vie» d'Aboulkacem Chebbi. «Une telle interprétation plastico-visuelle va imprégner la vie quotidienne, dans l'espace de la rue, d'une poétique submergeante». Khalil Gouiaâ, président de la Ftap, nous développe dans le paragraphe qui suit les idées directrices de cette manifestation : «En dehors de toute approche animatrice ‘‘traditionnelle'', ces interventions, intitulées Couleurs de la liberté… se veulent être œuvre d'art qui exprime les dimensions esthétiques d'une vision futuriste et poétique de la rue, dans la rue. C'est un éclat, entre autres, d'un souci culturel et civilisationnel qui contemple sa genèse dans le travail de ce moment historique palpitant. œuvre, autour d'elle se réunissent les artistes afin d'éclairer, de manifester leur rêverie constructive qui vise un avenir potentiel et esthétisé. Il s'agit effectivement, dans une telle approche productive-organique, d'un désir de participer à travers l'art, dans la création de cette Tunisie nouvelle, recherchée dans les poèmes ou, quelque part, dans les pensées enthousiastes, l'élan vital de la jeunesse et l'utopie des politiques». Cette manifestation s'inscrit dans ce qu'on appelle «Street Art», dix-huit piliers du pont de la République ont été peints en trois jours à raison de deux ou trois piliers par artiste, dont la majorité compte parmi les professionnels du métier, qui ont acquis une expérience dans l'art mural, que ce soit à Maharès, Sbikha ou à l'étranger. La FTAP a répondu à l'appel de la délégation régionale de la culture de Tunis dont le délégué Mohamed Hédi Jouini a toujours pris en considération les arts plastiques dans ses programmes. Les artistes n'ont pas été exigeants, l'important était de saisir cette occasion pour dépeindre les traits principaux de cette Tunisie chatoyante, camouflée sous les apparences, dans les revendications et les événements ou, plutôt, de cet avenir séduisant, émergeant dans le travail créateur, mais dans un flou artistique, disons un regard énigmatique et une «image-ination», créatrice de valeurs, qui sollicitent la réflexion. Les œuvres monumentales réalisées se prêtent à plusieurs interprétations, la générosité de la matière, la gestualité et la richesse chromatique nous offrent des «yeux» pour voir les profils de cette Tunisie renouvelée, pour concrétiser les potentialités de son avenir, composer et recomposer ses éléments constituants, à travers une palette lumineuse variée, mais cohérente, voire contrastée, mais unifiée… tout en se préparant aux tournants historiques qui suivent les élections. Le ministre de la Culture a clôturé cette manifestation, les artistes lui ont proposé de transformer — par étapes — les dizaines de piliers restants, pour créer un parcours «artistique»: un musée en plein air, en faisant participer toutes les tendances artistiques. Acceptant cette proposition, M. Beschaouch interviendra auprès de la Ville de Tunis pour aménager le rond-point situé à l'intersection des avenues Bourguiba et de la République et qui sera un relais pour se détendre ou un atelier d'art en plein air. Khalil Gouiaâ précise que dans une manifestation pareille, les voix s'élèvent pour affirmer soi-même, penser et repenser. Le statut de l'artiste plasticien dans le faire social, sa participation dans l'affaire publique… de faire fonctionner son imagination créatrice et réactiver le principe de la liberté, comme leimotiv de toute création artistique» — Cette manifestation vient de mettre fin à l'aspect triste de Bab-B'har. En effet, en parcourant l'avenue Bourguiba, rien n'insinue que dans ce pays, il y a une culture millénaire, des artistes et des activités artistiques, à part le Théâtre municipal, et deux ou trois salles de cinéma; les galeries se sont transformées en magasins de prêt-à-porter ou en salon de thé ou pizzerias; ainsi cette intervention des artistes vient compenser le vide des galeries artistiques à Tunis en attendant des jours meilleurs. Signalons que l'Américain Fedel, qui expose à El Teatro, a participé par la réalisation d'une fresque en tant qu'artiste voulant laisser une empreinte dans cette manifestation. Les œuvres peintes sont résolument abstraites excepté une œuvre de Ben Messaoud, rigoureusement construite, où figure au premier plan l'emblème de la Tunisie tenu par des manifestants, ainsi qu'une œuvre de Fitouri: une architecture traditionnelle. Les artistes redoutent seulement que ces fresques ne soient salies par d'éventuels graffiti. Quant à la réaction pendant l'exécution de ce travail, elle a été positive. Le public félicitait les artistes, appréciant cette action artistique qui, si elle se poursuivait, métamorphosera l'aspect esthétique de la ville.