Par Boujemaâ REMILI L'on ne sait pas si la Tunisie va continuer à subir pour longtemps l'effet du décalage entre une société ouverte sur les opportunités du progrès et de la modernisation et une classe politique qui, tout en portant, il est vrai, les stigmates de l'ostracisme passé, éprouve de sérieuses difficultés à se mettre à niveau. En effet, alors que le pays a un besoin vital de se remettre au travail, l'on n'arrive pas à très vite évaluer convenablement la situation, pour conclure à une prédominance des phénomènes de transition sur tout le reste et, ainsi, à ne pas se décider à ne pas tout hypothéquer, alors qu'un minimum de décantation politique n'a pas encore été observé. Conclure aussi radicalement, sur le plan politique, tel que cela transparaît de l'attitude des uns et des autres, sur une consultation électorale qui n'a qu'une valeur fort indicative, c'est montrer de la précipitation, de la fébrilité, du manque d'assurance et même de la faiblesse, en tentant de figer un ordre qui est en pleine transformation. La situation, comme il l'a été souvent dit, reste caractérisée par l'exigence nationale de la construction consensuelle et non pas par le déterminisme partisan, quelle que soit par ailleurs la légitimité des familles politiques en présence et le sentiment de fierté pour la reconnaissance populaire. La seule conclusion que l'on peut tirer des élections c'est que, primo, l'on peut les organiser et, secundo, en accepter les résultats, même si c'est un parti islamiste qui arrive en tête dans une Tunisie foncièrement moderniste. Aller au-delà de cette interprétation, c'est forcer sur le trait et créer un malaise dont le pays peut se passer. Le consensuel le plus large et sans exclusive devrait être le principe de base des «tractations» actuelles, qui semblent trop s'allonger et, ainsi, à peine cacher des marchandages peu justifiables, vu le caractère transitoire des décisions qui devraient en sortir et le caractère moins déterministe des résultats électoraux que ce que l'on peut en penser. Avant de statuer sur les «postes de responsabilité», il faudrait au préalable identifier la signification politique de telles désignations. C'est ainsi que la présidence de la République devrait aller naturellement à Béji Caïd Essebsi, pour service rendu à la nation, cette personnalité ayant contribué réellement à sécuriser la marche du pays, dans une période très sensible et pleine de risques. Des hommes comme Iadh Ben Achour ou Kamel Jendoubi ont eu des contributions décisives et devraient jouer un rôle spécifique dans la transition. La présidence de l'Assemblée constitutionnelle ne devrait poser aucun problème particulier, en termes de symbolique politique, pour qu'elle soit équitablement accordée à Ennahdha. Quant au poste de Premier ministre et de la composition gouvernement, nous avons, à plusieurs occasions, suggéré plusieurs scénarios, dont celle de «gouvernement de compétences techniques, sans autre signification politique partisane». Toutefois, si l'on cherche à donner une signification politique à la composition du gouvernement, cela peut être envisageable et même souhaitable, mais cela devrait passer par la nomination d'un Premier ministre consensuel, non nahdhaoui, tel que Mansour Moalla, Ahmed Mestiri, ou Ahmed Ben Salah, ou d'autres, avec des ministres certes proposés par les partis, mais sur une base de compétence et non pas pour «récompenser» telle personnalité ou telle autre, tout en prenant l'option de garder des ministres de l'actuel gouvernement et surtout le gouverneur de la Banque centrale, pour assurer un minimum de continuité. Cela devrait faciliter l'effort de composition du futur gouvernement, même si cela n'efface pas totalement les difficultés d'un tel exercice. Une telle option, dans le cas où elle peut se réaliser, mais tel ne semble pas être le cas de l'orientation actuelle, est meilleure que celle du «gouvernement de compétences sans signification politique partisane». Elle présente l'intérêt du message politique qui la sous-tendrait et qui consisterait à dire que, malgré les divergences et la compétition politique désormais ouverte, les partis prennent également leur responsabilité nationale et se mettent aux avant-postes de l'action, pour faire face aux exigences de la nation.