Pour avoir délibérément tué, en tirant avec des balles réelles, sur les manifestations de protestation sociale, le pouvoir déchu a révélé un extrême fragilité trop bien cachée, par la découverte de l'existence de tout un plan de déstabilisation, destiné à empêcher par la terreur, tout ce qui est susceptible de déboucher sur une quelconque remise en question politique, considérée ainsi non seulement comme étant un domaine possible, mais même du probable. Suite à la chute spectaculaire de Ben Ali, abattu par la conjonction d'un ras-le-bol social généralisé, la coordination en temps réel de l'organisation du mouvement populaire à dominante jeune et une rapide propagation géographique de la contestation, la Tunisie est rentrée dans un processus révolutionnaire, appelé désormais « révolution », comme pour marquer la détermination du peuple tunisien d'aller jusqu'au bout d'une voie, quelle qu'en soit la difficulté, considérée comme un appel d'un destin, qu'il ne s'agira pas de ne pas entendre. Toutefois, si des points décisifs ont été marqués, l'essentiel reste à faire. Outre la fuite de l'ex-président déchu, l'arrestation de trente trois de ses proches, le quasi-démantèlement de l'armée secrète de subversion mise en place par la famille et la maîtrise de l'ordre public qui était visé par la déstabilisation, les principaux points marqués par cette dynamique révolutionnaire, autant extraordinaire qu'inespérée, concernent la déconnexion entre l'Etat et le parti du pouvoir, la libéralisation de l'information, la libération des prisonniers politiques et la mise en place d'un certain nombre de dispositions pour organiser la transition démocratique. Le livre de Boujemaâ Remili, « Quand le peuple réussit là où toute la société a échoué », présente la singulière particularité d'avoir été rédigé « avant » les derniers événements et était entièrement finalisé et prêt à passer à l'impression, quand survint la Révolution du 14 janvier 2011. Son titre original était « L'irrésistible appel d'horizons nouveaux, ou Quand vient le temps de la refondation moderniste ». Outre le fait que le texte constitue une expression d' « avant révolution » alors que, dans le sillage de la parole libérée, tous les Tunisiens, sans exception, se découvrent d'extraordinaires capacités d'analyse et de projection dans des idées de projets, très faits et très innovants, mais qui auront probablement à s'ouvrir les uns sur les autres, pour pouvoir construire les convergences fondatrices de la Tunisie de demain, outre donc l'opportunité de permettre ainsi d'une des manières de voir d' « avant-révolution », le présent texte pourrait présenter l'intérêt de montrer que, en matière d'idées et de rêves pour des « lendemains meilleurs », nous continuerons tous à être régis autant par nos ruptures que par nos continuités et que, ne pouvant pas « faire du passé table rase », toute démarche de refondation, pourrait emprunter tous les chemins possibles, sauf celui de l'effacement de la mémoire ou de la liquidation de l'imaginaire dans lequel nous avons toujours tenté de loger nos projets les plus fous. Le texte a été ainsi maintenu tel quel, non seulement parce que cela adresse un « état des lieux » politique et présente ainsi le contexte « politique » qui sert aujourd'hui de cadre au déroulement de la révolution, mais également parce que cela esquisse des « objectifs » et des « pistes » de choix, de la nature de ceux qui seront probablement bientôt, s'ils ne le sont pas déjà, l'objet du débat national, dès que le minimum nécessaire pour l'organisation du démarrage de ce débat sera en place. * Quand le peuple réussit là où toute la société a échoué » de Boujemaâ ; Editions Nirvana ; Tunis 2011 ; 155 pages. Boujemaâ Remili est une figure nationale du mouvement progressiste et démocratique tunisien. Il a été en 1976 président de l'organisation des étudiants maghrébins en France. Syndicaliste actif de l'UGTT à la STEG aux pires moments de la répression anti-syndicale de 1978, il a été élu à la direction du Parti Communiste Tunisien en 1981, membre du Bureau Exécutif de l'Union Nationale des Ingénieurs au début des années 1980 et membre fondateur d'Ettajdid. Boujemaâ Remili a été plusieurs fois candidat aux élections législatives sur des listes de l'opposition démocratique, du temps de Bourguiba et de Ben Ali. Ses protestations contre les falsifications lui ont valu des condamnations à la prison. Economiste de formation et diplômé de l'une des plus prestigieuses grandes écoles française, l'ENSAE, Boujemaâ Remili est, sur le plan professionnel, spécialiste des questions du développement en général et du développement régional et local en particulier et travaille en tant que consultant auprès des grands bailleurs de fonds.