• Navrante lutte en coulisses pour les fauteuils • Plus de 42 projets de Constitution proposés • Nécessité d'étoffer le Comité d'experts Par Soufiane Ben Farhat On a franchi le Rubicon, ou presque. L'Assemblée constituante ayant été élue, place aux choses sérieuses. En tout cas, c'est ce qui devrait advenir. Or, jusqu'ici, les différents protagonistes se sont adonnés à des exercices contorsionnistes de coulisses. En toile de fond, les postes à pourvoir. Présidentiel ou ministériels, les fauteuils semblent alléchants. Chacun y va de son calcul. Et les calculs s'avèrent plus ou moins étroits ou étriqués. Les chapelles sont entrées en lice. Et pour cause : préalablement, l'Assemblée constituante devra veiller à l'organisation provisoire des pouvoirs publics. Alors, c'est la curée et à la bonne franquette. Que dis-je ? À la hache, au couteau. Le pouvoir est le pouvoir. Il fascine et subjugue. Quitte à créer des réflexes d'anthropophage chez les victimes de la veille. L'homme primitif dévorait l'ennemi qu'il venait d'abattre, croyant ainsi s'en approprier la force. D'où le cannibalisme. La politique n'en est guère exempte, hélas. Dernier carré du primitivisme ancestral et atavique, on y est davantage mouton obéissant à l'instinct grégaire que citoyen mu par des réflexes civiques. Aujourd'hui, on devrait s'atteler au plus pressé à la mise sur pied d'une véritable Assemblée constituante. Le peuple tunisien a mandaté un échéancier non équivoque à ce propos. Et la principale vocation d'une Constituante, c'est de mettre sur pied une Constitution. La Loi Fondamentale. Norme des normes, d'autorité et par excellence. Autrement, tous les calculs sont viciés, biaisés. Les coteries exclusivement partisanes n'arrangent guère les choses. Dès qu'elles sont soumises aux aléas du fait du prince ou des desseins inavoués des partis, les constitutions dérapent. Elles deviennent des armures pour les tyrans et le despotisme. Cela se vérifie même dans des pays de vieille souche démocratique. Cependant, sous nos cieux, les nouvelles ne sont pas exclusivement alarmantes. A ce jour, nous dit-on, plus de 42 projets de Constitution ont été proposés par différentes sensibilités politiques et des personnalités indépendantes. Et la liste n'est pas encore close. Cela rassure. Le débat devrait être relancé sur cette base. Trêve de temporisation et de calculs en trompe-l'œil. Déjà, M. Yadh Ben Achour est à pied d'œuvre. Il préside un Comité d'experts chargé de l'élaboration du projet de règlement interne de l'Assemblée constituante ainsi que des textes portant sur l'organisation provisoire des pouvoirs. Ce comité scénarise également certaines variantes du régime politique escompté constitutionnellement. Deux remarques s'imposent. En premier lieu, on n'a pas encore une idée précise sur la composition de ce comité. Ni sur la qualité du mandant et la nature du mandat. Dans tous les cas de figure, M. Sadok Belaïd, l'éminent juriste, devrait en faire partie. Le fait qu'il n'ait pas été élu sur sa liste indépendante dans la circonscription de Ben Arous n'entache en rien son savoir-faire constitutionnel. L'absence d'une machine partisane ou électorale n'a rien à voir avec la science. C'est valable pour d'autres personnalités au know-how constitutionnel reconnu. En second lieu, des personnalités d'horizons divers devraient faire partie de ce comité d'experts. Le Comité d'experts ne devrait pas englober exclusivement des juristes par vocation. La Constitution est un tout. Et la totalité interpelle plusieurs disciplines et expertises. Jusqu'ici, hélas, les experts parachutés à la va-vite au lendemain de la Révolution, dans divers domaines, n'ont pas toujours été les meilleurs et les plus brillants. Certains sont problématiques et particulièrement controversés. D'autres, ternes et effacés, se cherchent tout au plus une place au soleil. D'autres, enfin, disposent d'un pouvoir fortuit et s'avèrent particulièrement enclins à en abuser. Dans tous les cas de figure, s'atteler à la conception de la Constitution s'avère salutaire. Autrement, l'océan des considérations politiciennes aura tôt fait de noyer les espoirs de la Révolution. A nos risques et périls.