Par Brahim OUESLATI Avec le prononcé du jugement du Tribunal administratif sur les cas de recours, le rideau tombe définitivement sur les élections de l'Assemblée nationale constituante du 23 octobre dernier. Ce verdict, sans appel, qui tombe comme un couperet pour les uns, comme un soulagement pour les autres, met un point final à une compétition qui n'a que trop duré. Loin d'être un camouflet pour l'Isie qui a réussi ce premier grand test démocratique, le jugement rendu par cette honorable et respectueuse institution judiciaire confirme, plutôt, la confiance retrouvée en une justice indépendante et impartiale et réconforte les magistrats dans leur quête de garanties statutaires les mettant à l'abri de toute forme de pressions ou de menaces. Le jugement a réhabilité cinq des six listes invalidées de la désormais fameuse Pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement, lui rendant sept sièges et la propulsant ainsi à la troisième place avec un total de 26 sièges, loin devant deux des plus grands partis, Ettakatol et le PDP. D'où une nouvelle donne et une nouvelle redistribution des cartes, au moment où les pourparlers et les négociations pour la formation du prochain gouvernement sont entamés entre les différents partenaires politiques, conduits comme ils le sont par le parti majoritaire Ennahdha. Propositions et contre-propositions, gouvernement d'union nationale ou d'intérêt national, élargissement des concertations à toutes les parties ou leur limitation aux principaux vainqueurs, difficile de déblayer la voie en si peu de temps. Ennahdha, grisée par cette première place avec 89 sièges en définitive et qui brigue déjà la tête du gouvernement, voit tout le monde lui faire la cour pour obtenir certaines faveurs au risque de ressusciter des pratiques qu'on croyait révolues. Pourtant, le mouvement islamiste ne semble pas tenir tous les leviers face à des partenaires intransigeants, notamment sur le partage des pouvoirs, les droits de l'Homme et le respect des acquis de l'indépendance dont le Code du statut personnel. Avec d'un côté le Congrès pour la République qui soutient un agenda pouvant aller à plus de trois ans et qui revendique deux ministères régaliens, l'Intérieur et la Justice, tout en rejetant la reconduction d'aucun des membres de l'actuel gouvernement et un Ettakatol beaucoup plus ouvert et rassembleur, les négociations n'avancent pas au rythme voulu et d'ici la publication du décret appelant à la tenue de la première réunion de l'Assemblée nationale constituante, les choses pourront se décanter et on y verra plus clair. Mais que feront les formations minoritaires face à cette coalition qui se met en place et qui se trouve être forte de près de 140 sièges? Une majorité réconfortante, en somme, mais avec quelle marge de manœuvre ? Arriveront-elles à former un bloc uni pour constituer une opposition crédible, constructive et critique ? Et comment vont se comporter ces électrons libres élus sur des listes indépendantes ? Une chose est sûre, la prochaine Assemblée sera haute en couleur avec une vingtaine de partis représentés et des membres apparentés. Une grande première dans l'histoire du pays et qui ne manquera pas de donner du tonus à la future chambre. Ambiance en vue. Une Assemblée constituante est, par définition, «une institution collégiale avec pour tâche la rédaction, ou l'adoption d'une Constitution, c'est-à-dire le texte fondamental d'organisation des pouvoirs publics d'un pays». Tirant sa légitimité du suffrage universel, elle jouit d'une souveraineté totale, n'étant liée par aucun texte juridique. L'exemple de la Constituante de 1956 est significatif à plus d'un titre. En effet, appelée à élaborer une Constitution en juin 1959 et instaurer un régime présidentiel. De ce fait, la nouvelle Assemblée constituante qui aura pour principale mission d'élaborer une nouvelle Constitution pour le pays, laquelle déterminera la nature du régime politique, pourra, également, jouer un rôle législatif en adoptant des lois pour organiser la vie politique nationale ainsi que la vie économique et sociale et pourra, par conséquent, se muer en parlement pour contrôler l'action du gouvernement. Mais l'une de ses premières tâches consistera en l'élection d'un président de la République pour une nouvelle période transitoire et définir ses attributions ainsi que celles du gouvernement. Un gouvernement de transition qui doit accompagner la mise en place de la nouvelle Constitution. Reste que les critères de l'élection du nouveau chef de l'Etat ne sont pas encore arrêtés et les discussions continuent entre les partenaires politiques sur ce sujet. Sera-t-il choisi parmi des personnalités élues ou parmi des personnalités indépendantes ? Aucune piste n'est écartée mais un consensus doit être trouvé. Cette situation à laquelle les Tunisiens ne sont pas habitués est pourtant naturelle dans toute démocratie. Avec, toutefois, cette précision de taille : les 217 membres de l'Assemblée ont été élus pour élaborer une nouvelle Constitution pour le pays et non pour siéger dans un nouveau gouvernement. Or, il s'avère que bien avant la proclamation des résultats, la course aux fauteuils ministériels a commencé et le nombre de prétendants grossit de jour en jour. Pratiquement aucune mention pour la présidence de l'Assemblée dont la mission sera d'une haute importance ni pour celle des différentes commissions parlementaires. Ni encore pour la feuille de route de la nouvelle transition dont les contours ont été déjà définis par les bons soins de M. Yadh Ben Achour et acceptés par onze des douze partis siégeant à l'Instance supérieure de la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Avec l'installation de la nouvelle Assemblée, une page sera tournée, une autre s'ouvre, qu'on espère pleine de promesses.