Par Dr Moncef Guen * L'Assemblée constituante se réunira le 22 novembre. Après constitution de son bureau et adoption de son règlement intérieur, elle commencera sa grande œuvre : donner une nouvelle Constitution à la Tunisie de la révolution et instaurer la IIe République. La première République fut dominée par un parti unique et une dictature personnelle menant à toutes sortes d'abus de la chose publique. Sans anticiper sur les travaux de la Constituante, il est naturel de s'attendre à une Constitution modèle dans le monde arabe, donnant naissance à un Etat fondé sur la démocratie, la transparence, l'égalité des chances pour les individus, les catégories sociales et les régions, l'Etat des institutions et non du pouvoir personnel, l'Etat solidaire des pauvres et des laissés-pour-compte et non des cliques mafieuses, l'Etat au service de la communauté nationale. Pour la première fois dans l'histoire du monde arabe, une démocratie musulmane va émerger. Face au succès électoral massif du mouvement Ennadha, d'aucuns en Occident et particulièrement en France, ont exprimé leur surprise sinon leur indignation. Les ennemis de l'Islam ont toujours pensé qu'Islam et démocratie sont antinomiques. Les pauvres d'esprit, ils n'ont rien compris à l'Islam. Ils ne s'imaginent pas que l'Islam est fondé sur la consultation et la solidarité de la communauté. Ils ne s'imaginent pas que l'Islam est fondé sur le savoir, la science et le progrès intellectuel. Ils n'ont conservé de l'Islam que les tares qui ont caractérisé le monde musulman après 1492, les siècles pendant lesquels ce monde musulman est entré dans l'âge de l'obscurantisme, le déclin intellectuel et matériel et soumis à la domination étrangère. Si certains d'entre eux admettent, contre leur gré, l'existence de régimes démocratiques dans certains pays comme la Turquie, l'Indonésie et la Malaisie, parce que l'on ne peut pas nier toujours l'évidence, ils continuent à affirmer que le monde arabe est réfractaire à la démocratie musulmane. Eh bien, la leçon que la Tunisie leur donnera c'est qu'une telle démocratie peut fleurir et s'épanouir dans un pays arabe. La Tunisie aura non seulement réalisé la première révolution du XXIe siècle, avec une jeunesse utilisant les outils informatiques que sont Facebook et Twitter, mais aussi la première démocratie musulmane dans le monde arabe. Non seulement cela, mais aussi la première démocratie musulmane dans le monde arabe avec tout ce que l'Islam contient de noble sur le plan de la solidarité sociale. Le programme économique et social du prochain gouvernement, issu des élections, ne peut que se mettre au service d'une politique pro-pauvres. Ceux que l'ancien régime a laissé pour compte et qui comptent la majorité du peuple tunisien. Les jeunes désœuvrés alors que des terres incultes jalonnent le territoire du pays. Les jeunes diplômés qui ont peiné pour avoir leurs diplômes, au grand sacrifice matériel de leurs parents et proches, et qui se retrouvent ensuite sur le carreau. Les populations rurales qui souffrent du manque d'eau potable, d'électricité et de logement décent. A travers les investissements de développement rural, la Tunisie pourra créer un nombre important d'emplois avec un coefficient capitalistique faible, mettra un stop à l'exode vers les villes et changera le paysage de nos campagnes. Depuis six ans, l'Inde a mis en œuvre «the National Rural Employment Guarantee Act» qui a transformé les campagnes indiennes et a donné du travail et la dignité aux masses rurales. Si l'Inde le fait, la Tunisie pourrait le faire. Des transferts sociaux qui, en même temps, mettent en valeur des terres en friche et emploient les populations rurales en leur redonnant leur dignité quoi de plus islamique et de plus démocratique ? En mettant l'accent sur le développement du secteur coopératif qui a été tué dans l'œuf dans les années soixante par les intérêts des élites et des privilégiés alors que la coopération est un élément fondamental de notre culture et de nos valeurs islamiques, nous mettrons sur le même plan d'égalité les trois secteurs, public, privé et coopératif. La coexistence des trois secteurs est patente dans les économies scandinaves et plus généralement européennes, pourquoi pas chez nous ? Ce sera non seulement la démocratie musulmane mais aussi la démocratie musulmane et sociale, une innovation tunisienne. M.G. * (Ancien secrétaire général du Conseil économique et social)