Par Foued ALLANI La célébration, aujourd'hui, du 54e anniversaire de la République revêt une signification particulière, pour ne pas dire exceptionnelle. Elle intervient en effet dans un moment très délicat de l'histoire de la Tunisie et de sa courte histoire à elle, notre pays vivant actuellement dans un état révolutionnaire, donc de fait et en l'absence totale d'institutions légitimes. Le fait de préserver, ne serait-ce que par l'effet du consensus populaire et son adhésion, cette institution sacrée est en lui seul un motif de fierté et un acquis à marquer d'une pierre blanche. Les Tunisiens ont aussi démontré qu'ils pouvaient tout remettre en question sauf ce type de régime, et ce, quelle que soit la variante qu'il prendra (présidentielle, semi-présidentielle, parlementaire, etc.). La République, ne l'oublions pas, a vu le jour le 25 juillet 1957, soit un peu moins de deux ans avant la Constitution (promulguée le 1er juin 1959), cette dernière ayant été une revendication primordiale du mouvement national, dès le début du siècle dernier. L'acte authentiquement révolutionnaire ayant aboli la monarchie et instauré la République est lui aussi à méditer longuement. Il s'agissait d'un acte de souveraineté populaire, cette décision ayant été prise par la Constituante, le Parlement élu au suffrage universel, secret et direct le 25 mars, le premier en Tunisie, soit cinq jours seulement après l'accession de notre pays à l'indépendance. Un acte aussi légitime qu'unique dans l'histoire contemporaine des pays en développement, car émanant de la volonté populaire et non d'un quelconque coup d'Etat militaire ou autres. Investie des pleins pouvoirs par le peuple, la Constituante avait commencé très tôt le processus abolitionniste. En procédant à toutes les réformes sociales réclamées par le peuple (Code du statut personnel, le 13 août 1956 par exemple) ainsi qu'à des dispositions ayant abouti à la suppression des privilèges de la famille beylicale, à l'immunité du monarque. Cette première révolution a cependant connu une vraie volte-face. La Constitution du 1er juin 1959 ayant instauré, hélas, un régime présidentialiste à outrance. Tous les pouvoirs ou presque ont été octroyés au président de la République qui était à la fois garant de la Constitution, chef du gouvernement (exécutif), ce dernier étant responsable devant lui uniquement, chef suprême des forces armées, premier responsable de la politique étrangère, il pouvait dissoudre le Parlement ayant la primauté dans les projets de loi, il présidait le Conseil suprême de la magistrature, etc. Ce qui a fait dire quelques mois plus tard à certains des observateurs que ce dernier avait plus de pouvoirs que le Bey et le Résident général de France réunis (à l'époque de l'occupation). La Constituante avait bien agi le 25 juillet 1957, mais elle avait conçu une Constitution ayant ouvert la porte toute grande à la dictature. Elu le 8 novembre 1959 président de la République, Bourguiba a gouverné la Tunisie d'une main de fer. Avec l'interdiction du multipartisme en 1963 et l'instauration du parti unique, le président de la République, alors président du parti au pouvoir (le seul), devenait d'office chef du législatif. La situation empira en 1975. L'amendement de la Constitution instaura la présidence à vie et la succession automatique en cas de vacance du poste en la personne du Premier ministre, désigné auparavant par le président. Ainsi, le peuple a été exclu de cette opération et la souveraineté a été confisquée. Le changement à la tête de l'Etat en novembre 1987 a «corrigé» cette aberration, mais n'a jamais permis au peuple d'exercer pleinement son pouvoir, puisque le candidat était quasiment toujours unique malgré la mascarade des candidats choisis souvent sur mesure suite à des bricolages législatifs. L'amendement de la Constitution en 2002 n'arrangea par les choses puisqu'il réinstaura l'infinité des mandats tout en gardant la limite d'âge, la repoussant toutefois à 75 ans. Un mouvement pour la remise en question de cette limite vit le jour après l'élection présidentielle de 2009. Il a été heureusement arrêté net par la révolution du 14 janvier dernier. Celle-ci va certainement rétablir la souveraineté du peuple, et les élections du 23 octobre prochain qui donneront naissance à la Constituante doivent impérativement être suivies d'un référendum pour l'adoption de la nouvelle Constitution instaurant la Seconde République. Celle-ci doit refléter la volonté populaire désireuse de voir mis en place un régime où le président aurait des pouvoirs limités et serait responsable devant le Parlement. Les Tunisiens doivent donc rester vigilants afin de contrecarrer toute velléité de retour au présidentialisme et aussi afin de barrer la route à certaines conceptions irréalistes et criminelles.