Les Caravanes Documentaires invitent les cinéastes et les cinéphiles à méditer sur le parcours de la réalisatrice attitrée du 3° Reich: Leni Riefensthal. Cette rencontre sera l'occasion de s'interroger sur la responsabilité de l'artiste face au pouvoir. Quelle forme, en effet, la propagande politique prendra-t-elle dans la production audiovisuelle tunisienne à l'orée des changements qui s'annoncent? Plus que jamais, les cinéastes doivent se poser des questions cruciales sur leur rôle dans la société. Les Caravanes Documentaires dont l'objectif consiste à disséminer les valeurs de la citoyenneté par le biais de la culture audiovisuelle, souhaitent susciter un débat constructif sur l'éthique artistique. Rendez-vous aujourd'hui, à 18h00, au Cinéma Amilcar, à El Manar. Leni Riefensthal, alias «la fiancée de Hitler», est l'une des réalisatrices les plus controversées de l'histoire du cinéma. Née le 22 août 1902 à Berlin, elle fut danseuse, puis actrice avant de se lancer dans la réalisation. Ayant acquis à partir de 1926 une grande popularité en jouant des rôles principaux dans des films d'aventures en montagne pour lesquels elle dut apprendre l'alpinisme et le ski, elle choisit naturellement les hauteurs des Dolomites comme décor de son premier film lorsque se présenta à elle l'opportunité d'accéder à la mise en scène. C'est ainsi qu'elle connut son premier succès international avec La Lumière Bleue, film de montagne qui remporta la médaille d'argent de la Biennale de Venise, en 1932. Celle qui tourna, à la demande de Hitler, Triomphe de la Volonté, documentaire sur le congrès du parti national-socialiste, à Nuremberg en 1934, a toujours soutenu, qu'en tant qu'artiste, elle ne faisait pas de politique. Elle n'a d'ailleurs jamais appartenu officiellement au NSDAP. Mais Leni Riefenstahl filmait les défilés de l'armée allemande avec tant d'enthousiasme lyrique et d'exaltation qu'il est difficile de croire qu'elle ne partageait pas certaines valeurs du nazisme. Peu à peu la protégée de Hitler avait eu carte blanche et obtenu des moyens démesurés. Récompensé au festival de Venise, Les Dieux du Stade, film officiel des Jeux olympiques de Berlin en 1936, a expérimenté des techniques pionnières à l'époque, telles que le travelling. Cette œuvre, qui chante le triomphe du corps, fut toujours vantée pour son esthétisme exigeant et rigoureux. Le succès du film (présenté le 30 avril 1938, jour anniversaire du Führer) fut considérable et la réalisatrice fut félicitée par Walt Disney lors d'une rencontre sur le sol américain, tandis que Staline, outre une invitation à Moscou à laquelle elle ne donna pas suite, lui aurait proposé de venir travailler en Union Soviétique ! A cause de sa fulgurante ascension, Leni Riefensthal s'attira la jalousie et la haine du ministre de la propagande Goebbels et celle de nombreux dirigeants du parti nazi si bien qu'elle ne put mener à terme ses projets suivants, dont une illustration de la vie de Vincent Van Gogh. Rejetée par ses compatriotes, pour qui elle incarnera éternellement le nazisme triomphant, la cinéaste fera, entre 1945 et 1948, plusieurs séjours en prison, entrecoupés d'assignation à résidence. Qualifiée par une commission d'enquête de sympathisante du régime nazi, aucune condamnation ne fut pour autant prononcée contre elle. Elle fut tout de même empêchée de tourner et dut poursuivre sa carrière artistique en publiant des livres de photographie, consacrés principalement aux tribus Nubas du sud du Soudan et au monde sous-marin. En 1974, à 72 ans, elle parvint à obtenir, en falsifiant des documents, un brevet de plongée et se mit à la photo subaquatique découvrant sous l'eau “un jardin de pure harmonie et une liberté absolue”. En 2002, à l'occasion de son 100e anniversaire, elle réalisa Impressions Sous-Marines, le seul documentaire qu'elle put terminer en un demi-siècle. La sortie de ce film relatant ses années de plongée fut marquée par une nouvelle controverse à la suite d'une plainte de Tziganes accusant la réalisatrice de négationnisme. Ainsi, quelques mois avant sa mort en 2003, à l'âge de 101 ans, Leni Riefenstahl a été accusée d'avoir menti sur le sort d'une centaine de gitans prisonniers dans des camps nazis et utilisés comme figurants en 1942 dans son film Tiefland. A la sortie du film, achevé seulement en 1954, elle avait affirmé à un journal que ces figurants tziganes avaient tous survécu à la guerre. Les plaignants ont accusé Riefenstahl de n'avoir pas empêché le renvoi de ces figurants dans les camps où un grand nombre d'entre eux sont morts. Cette affaire s'acheva par un non-lieu, mais la réalisatrice est loin d'avoir été lavée, pour autant, du soupçon d'infamie. C'est aussi à l'occasion de son centenaire, en octobre de la même année, que Le Monde Diplomatique lui consacra un article sévère intitulé Indécente Réhabilitation. Dans le portrait qu'il brosse d'elle, en 1993, Leni Riefensthal, le pouvoir des Images, Ray Müller résiste à la fascination qu'exerce sur lui cette femme d'une vitalité admirable qui connut les vertiges des sommets et ceux des profondeurs. Soucieuse de rectifier l'image qu'elle laissera d'elle, l'interviewée recourt à de piètres justifications de ses dérives dans un jeu de la vérité où la colère cède le pas à la dérobade, où la séduction n'exclut pas la lucidité. Cette étonnante biographie devient vite un implacable face-à-face. Aucune question n'est éludée pour retracer un parcours à la fois extraordinaire et nauséabond tout en mettant en lumière les paradoxes de l'art. On ne saura jamais si le mea culpa de Leni Riefensthal est opportuniste ou sincère. L'ambiguïté du personnage est bien rendue, ce qui fait d'elle une figure véritablement emblématique, une femme en quête d'absolu qui n'a pas su à quel diable se vouer ni à quel saint vendre son âme. Nul doute que les cinéastes tunisiens seront interpelés par cet exemple plein d'enseignements et qu'ils évalueront à sa juste mesure leur propre chemin parcouru et à parcourir.