LONDRES (Reuters) — Les islamistes algériens, tombés dans les limbes politiques depuis les années 1990, tentent de revenir sur le devant de la scène, encouragés par les succès électoraux de formations islamistes modérées dans d'autres pays d'Afrique du Nord. La plupart des islamistes d'Algérie sont exclus de la vie politique depuis la guerre civile à laquelle avait abouti leur dernière tentative d'accession au pouvoir, mais les derniers mois ont témoigné d'un regain d'activité de leur part, surtout mené par des exilés contournant la vigilance de l'Etat algérien. Ils ont ainsi créé une chaîne de télévision par satellite basée en Europe, «Rachad», envoyé des délégations dans les pays arabes où ont eu lieu des révolutions cette année, et fait des incursions dans des manifestations antigouvernementales. Leurs chances de succès sont minces: ils sont divisés en camps idéologiques, cernés par un puissant appareil de sécurité et discrédités aux yeux de beaucoup par un conflit où ils ont joué un rôle-clé et dont le bilan est estimé à 200.000 morts. Ils n'en voient pas moins une sorte de promesse dans les «printemps arabes» qui ont renversé cette année des autocrates laïques en place depuis des décennies. En Tunisie, un mouvement islamiste interdit auparavant est arrivé au pouvoir, tandis qu'en Egypte le parti des Frères musulmans est arrivé en tête de la phase initiale des législatives qui prendront fin en janvier. «La Tunisie a été le modèle déclencheur de cette révolution (du printemps arabe). Cela pourrait être un très bon exemple pour l'Algérie», déclare à Londres Abdullah Anas, membre de l'instance dirigeante du Front islamique du salut (Fis), qui est interdit en Algérie. Pour reprendre pied en Algérie, membre de l'Opep qui fournit un cinquième du gaz importé en Europe, le courant islamiste devrait d'abord liquider le passif des années de violence. Voilà vingt ans, le Fis était sur le point de remporter des élections organisées sous la pression de la rue et annonçait son intention d'imposer un Etat islamique. Le gouvernement, soutenu par l'armée, avait alors annulé le scrutin, les islamistes avaient pris les armes et l'Algérie avait basculé dans un conflit d'une effroyable violence. Des civils étaient égorgés dans les rues ; le matin, des habitants découvraient des chaussées jonchées de cadavres. Un noyau islamiste continue d'opérer aujourd'hui sous la bannière d'Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Il attaque périodiquement les forces de sécurité, enlève des Occidentaux et lance des opérations-suicide. Mais la violence a fortement diminué. Une vaste opération de sécurité a entraîné l'arrestation de milliers d'insurgés. D'autres ont déposé les armes en échange d'une amnistie et en s'engageant à se tenir à l'écart de la vie politique. «Depuis (le conflit), l'islamiste n'était plus considéré comme un héros dressé contre la tyrannie. Il était devenu, aux yeux de l'opinion, responsable des souffrances du peuple», dit Soheib Bencheikh, théologien qui a exercé des fonctions à la mosquée de Marseille, où vit une grande communauté algérienne. La crainte d'un retour à la violence explique en partie pourquoi un calme relatif a prévalu en Algérie alors que les pays voisins étaient en proie aux convulsions. Les islamistes croient néanmoins le pays mûr pour un changement et commencent à prendre des initiatives concrètes. La chaîne par satellite Rachad, lancée en novembre par des islamistes en exil entretenant des liens avec le Fis, peut être captée en Algérie, où la plupart des foyers disposent d'une antenne parabolique. Elle diffuse des émissions sociopolitiques où sont invités à intervenir des dirigeants et des militants d'opposition en général hypercritiques envers Alger. Sur le site internet de la chaîne, un lien montre aux internautes «comment libérer (leur) pays» et un autre comment s'impliquer dans des troubles sociaux. Les exilés disent nouer des contacts avec d'autres pays où des révoltes du «printemps arabe» ont propulsé des islamistes à des postes officiels. Selon Abdullah Anas, représentant du Fis à Londres, des contacts ont également été pris avec Rached Ghanouchi, président du parti islamiste Ennahda qui s'apprête à diriger le gouvernement de coalition tunisien issu des élections d'octobre. En Algérie même, les islamistes les plus influents sont les salafistes, tenants d'une interprétation rigoriste de l'Islam. A la différence du Fis, ils bénéficient de la tolérance de l'Etat, parce que leur doctrine leur interdit les activités politiques. Lorsque l'Algérie a été le théâtre en mars de manifestations contre une hausse des prix alimentaires, le chef spirituel du mouvement salafiste algérien, Abdelmalek Ramdani, qui vit en Arabie saoudite, a publié une fatwa (décret religieux) : «Tant que le commandant de la nation est un musulman, vous devez lui obéir et l'écouter. Ceux qui sont contre lui ne cherchent qu'à le remplacer et ce n'est pas licite», disait-il. Certains prédicateurs salafistes se livrent malgré tout à des activités politiques. Le cheikh Abdelfateh Zeraoui, ex-membre du Fis et prédicateur notoire à Alger, a publié en octobre une déclaration exhortant le gouvernement à opérer des réformes pour que sa communauté puisse mener librement des activités politiques, au nom de la stabilité du pays. Zeraoui a aussi tenté d'organiser des marches de protestation dans la capitale, mais elles ont été bloquées. Pour Mohamed Mouloudi, spécialiste du monde musulman, les divisions entre islamistes algériens affaiblissent leurs chances de réussir un retour. «Ils ne parlent plus d'une seule voix», dit-il à Reuters. «Il y a ceux qui sont pour l'action politique et ceux qui (la) jugent illicite.» Un débat — à huis clos — a quand même eu lieu dans la classe dirigeante algérienne sur l'attribution d'un rôle politique aux islamistes, pour la première fois depuis vingt ans. L'objet central de ce débat est de savoir qui succédera au président Abdelaziz Bouteflika, dont le mandat expire en 2014. Dans cette élite, un camp soutient Abdelaziz Belkhadem, ancien Premier ministre et secrétaire général du FLN au pouvoir, un laïque bénéficiant de la confiance des islamistes. Ses adversaires sont des laïques «durs» que soutient l'armée.