La maison de la culture Ibn- Khaldoun a accueilli, vendredi dernier, une rencontre sur le thème de la littérature carcérale dans la Tunisie de l'après-révolution. Cette présentation-débat a été organisée à l'initiative des éditions Karem Cherif et du centre Zitouna pour les études stratégiques. Les initiés du cercle littéraire tunisien connaissent des livres comme Cristal de Gilbert Naccache ou El habss kadheb wel hay irawah de Fethi Bel Haj Yahya, qui ont pu témoigner du calvaire enduré par quelques détenus politiques, ceux de la gauche, pendant le règne de Bourguiba. Des auteurs de la droite politique (Mouvement Ennahdha) ont eux aussi pris l'initiative pour restituer, par les mots et les images, des faits occultés de la répression exercée par le régime de Ben Ali. Parmi les livres disponibles dans les librairies, quatre ont pu être discutées en public, dans le débat du vendredi. Il s'agit de Borj Erroumi de Samir Sassi, présenté par Hamadi Barouaki, Jamra de Ali Chakouai, Al moubsiroun de Lamia Ouni présenté par Chawki Boughanmi et Al chatet de Khedija Toumi, présenté par Abderrahmane Hedhili. La rencontre, en présence des auteurs, a été une occasion d'en savoir plus sur le parcours politique de chacun, qui l'a mené en prison, et d'en savoir plus sur son expérience avec ce monde impitoyable. Samir Sassi se rappelle que lui et ses compagnons sont passés d'un état de choc à un état de désespoir, avant de décider de rassembler leurs efforts pour faire des revendications, entre autres celle revendiquant la séparation des prisonniers de droits communs. Nombreux sont les militants qu'il a vu mourir en prison des suites de la torture, des décès maquillés ensuite de différentes manières. Pour son livre, cet auteur n'a pas choisi le style autobiographique. Son personnage principal est pour lui le représentant de toute une génération, dont il raconte le combat. Ce choix a pu ouvrir un débat sur la manière dont chacun a choisi de transmettre au lecteur ce fait historique. Les uns optent donc pour l'autobiographie ou pour le roman. Ils ne sont pas toujours d'anciens prisonniers, et les exemples dans la littérature arabe ne manquent pas, même féminine, comme dans l'œuvre de Nawel Saadaoui, citée par une intervenante, ou celle de Aicha Ouda, militante palestinienne. Quant à Khedija Toumi, auteur de Al chatet et invitée de la rencontre, elle a connu les effets immédiats et secondaires de l'emprisonnement politique à travers son mari. Son parcours lui a servi de base pour imaginer l'évolution des personnages de son roman, qu'elle veut dénonciateur d'un système pourri, dont les tentacules s'étendent dans le pays et dans le monde entier. A travers des écrits comme ceux présentés à la maison de la culture Ibn Khaldoun vendredi dernier, le monstre de la dictature et de la répression prend une forme et devient identifiable, en dépit d'une retenue encore pesante et de la persistance du non-dit. Les témoignages doivent se multiplier, quelle qu'en soit la forme, rien que pour le devoir de mémoire. Si on peut le faire tout en enrichissant le patrimoine littéraire tunisien, c'est encore mieux. Les auteurs invités sont d'ailleurs persuadés qu'une nouvelle génération d'écrivains va enfin pouvoir sortir de l'ombre et s'exprimer.