«Une pièce de théâtre, c'est quelqu'un. C'est une voix qui parle, c'est un esprit qui éclaire, c'est une conscience qui avertit». Victor Hugo, extrait de Faits et croyances L'écho du pas de l'homme, voilà une pièce dont il faut absolument en parler. Collant à l'actualité, mais aussi intemporelle, elle est venue titiller, avec son propos, celui du marocain Ahmed Ghazali, adapté et joué par l' unique interprète Diariétou Keita (qui a excellé), les esprits les plus léthargiques, lors de la 15e session des Journées théâtrales de Carthage qui a baissé ses rideaux le vendredi dernier. Rien de plus logique de voir le théâtre El Hamra abriter cette représentation de la compagnie française de Christophe Merle «Les voix du caméléon» (fondé en 1996) car, longtemps, cet espace a dédié ses planches et son programme à l'art africain par le biais du centre arabo-africain de formation et de recherches théâtrales. Zone réelle intemporelle Sur scène, une scénographie des plus simples ne dit-on pas que l'essentiel passe par la simplicité, derrière cela, également, une volonté de rencontrer un public le plus large possible avec des décors qui peuvent s'adapter à différents espaces : ici un arbre anthropomorphe, lien organique avec l'espace-temps et témoin du temps passé et celui à venir. Et sur scène, ce qui va venir est un monologue au nom éloquent de L'écho du pas de l'homme, une sorte phagocytose (plus que digeste) des différentes répliques des personnages du texte original où il est question du «Sahara, lieu mythique où se sont croisés pendant des siècles les Arabes, les Berbères, les Noirs Africains, les Européens. Il y a le commerce, les conquêtes, le colonialisme, l'avènement des Etats nations au Maghreb et en Afrique de l'Ouest. Il y a notre présent, les migrations des damnés de la terre et le mythe de l'eldorado européen, la mondialisation. Il y a surtout une mise en perspective de l'Histoire des hommes et leurs désirs irrésistibles de se mouvoir, de se déplacer, d'échanger, de se rencontrer, de se confronter, un besoin métaphysique et intemporel de pratiquer le “voisinage”», comme l'annonce la note de mise en scène de la pièce. Pas de restitution du désert sur scène, mais plutôt une transposition dans un univers intemporel permettant une mise à distance avec le réel sans pour autant le masquer ou l'atténuer, lit on encore. Ainsi, la comédienne sénégalaise Diariétou Keïta partage les planches avec son unique partenaire l'arbre, réveillant la mémoire millénaire d'une pancarte vieille de 2000 ans à laquelle elle prête son corps. «Une pancarte au milieu de rien....ou plutôt du désert, d'un no man's land, d'un entre deux, d'un trait d'union» qui se fait l' écho du pas de l'homme trimballant tel le lourd fardeau de Sisyphe l'indication inscrite «Tombouctou 52 jours à dos de chameau». Mais alors jusqu'à quand? Et pour qui? «Vous croyez qu'une pancarte ne parle pas? Je suis «Tombouctou 52 jours à dos de chameau, princesse du Sahara» nous dit cette dernière et de reprendre : «Qui vous dit que le nom propre ne se traduit pas? Qui vous dit que je suis propre? Les humains aiment la propriété et moi je suis commune!» Enfermée dans ses réminiscences et secouée par la cruauté du présent, elle semble errer, à la folie, d'une époque à une autre, d'un souvenir à un autre, regrettant le temps où l'immensité était permise et où les frontières n'étaient pas de mise : «Un jour viendra et quelqu'un voudra que je lui indique le chemin!». Ce même chemin sera coupé, violé, bafoué et ensuite délaissé et interdit par les innombrables conquêtes, colonisations, et autres flux sur les pas d'une mondialisation sauvage qui asservie les libertés, nous expliquera, tout au long de la présentation, cette dernière. Eternelle témoin de sa solitude, elle crie son désarroi, nous entraînant à travers ses angoisses, sa colère et ses peurs : «Les hommes semblaient avoir trouvé d'autres occupations, d'autres amours. Le désert ne les intéressait plus. Quant à traverser le Sahara, ils n'avaient plus la patiente passion de leurs ancêtres. Ils préféraient les grands chameaux des mers et les grands oiseaux des airs. Epoque de la vitesse, envie folle de propre et de propriété». Guidés sur scène, à travers ce chemin de «l'écho des pas de l'homme» par les pas de la comédienne, ses gestes, ses mimiques et ses grimaces qui font la beauté et l'acuité de son jeu, pas une fois nous avons décollé ou errer si ce n'est à travers ses propos poignants de véracité et de réalisme, à l'humour acerbe. Une interrogation fondamentale et fondatrice du texte: Comment envisager d'interdire aux Hommes de se déplacer alors que le monde s'est nourri de ces flux incessants? Que nous flanque la comédienne en pleines gueules, nous réveillant de nos léthargie de «bouffeurs» de pub et de consommateurs de fast-rêves, nous invitant, ainsi, à la réflexion en alternant grands titres historiques et anecdotes , poésie et langage de rue, humour et cynisme, chagrin et fou rire, l'aujourd'hui (insertion d'écriture moderne) et le passé... A méditer