Il y a tant d'années que l'on parlait du développement de l'administration et sa modernisation pour pouvoir épouser son époque dans la mesure où elle doit se consacrer au service du citoyen, avec la qualité et la célérité requises. C'est là l'une de ses raisons d'être, loin de toute forme de partialité et de favoritisme qui pourraient nuire à son environnement aussi bien interne qu'externe dans sa relation avec le citoyen. Et partant, le principe de la neutralité se pose encore avec plus de force et de rigueur, allant jusqu'à pousser certains spécialistes et juristes en la matière à le qualifier d'une question si complexe et équivoque, d'autant plus qu'elle existe partout, ici en Tunisie et sous d'autres cieux. D'ailleurs, dans une conférence, tenue récemment à l'Ecole nationale d'administration (ENA), à l'initiative de l'Union des magistrats administratifs et du Syndicat national des conseillers des services publics (Sncsp), M. Daniel Chabanol, conseiller honoraire auprès du conseil de l'Etat français a indiqué que le problème de la neutralité est un combat quasi quotidien. «Et ce n'est pas que la France s'enorgueillit de deux siècles de jurisprudence administrative et un régime parlementaire existant depuis 1875 qu'on n'a pas de problèmes de neutralité, malgré les lois et les réflexions des uns et des autres». C'est par quoi a commencé le conférencier pour dire que ce sujet est tellement flou et délicat, sans y apporter plus de détails. Il n'a cependant pas fourni de bonne recette pour venir à bout de la question, mais il vient de citer des exemples français et livrer, tout simplement, des témoignages y afférents. «C'est naturel et si humain», en allusion à la sensibilité du rapport administré-citoyen. En fait, selon lui, la neutralité se pose sous deux angles, aussi bien sur le plan de l'action administrative qu'au niveau des fonctionnaires y engagés. Dans le texte comme dans la pratique, l'action administrative ne doit pas agir, en tout état de cause, de façon discriminatoire. D'autant plus, lors de ses décisions, elle ne doit pas retenir des motifs entachés d'erreurs des droits qui heurtent le principe de neutralité. Pour l'expliquer davantage, il vient de citer un exemple touchant à l'ENA française en 1952 à propos d'un jeune étudiant qui n'était pas retenu parmi les candidats admis à concourir, parce que son père était doyen de l'Assemblée nationale française, membre du Parti communiste. Or, celui-ci n'était pas, à l'époque, fort apprécié. «Il ne faisait pas bon, en France, d'être communiste», ce qui mettait en doute la décision d'écarter ce jeune étudiant, considéré comme étant un cas d'atteinte au principe de la neutralité administrative. «Il est même terrible de penser qu'au bout de deux siècles de contentieux administratifs, on a encore constaté des décisions qui manifestent une méconnaissance du principe de la neutralité», s'exclame-t-il. Du côté des personnes impliquées dans le système administratif, soit comme agents fonctionnaires ou comme usagers bénéficiaires du service public, l'obligation de la neutralité, a-t-il précisé, se télescope avec d'autres droits constitutionnels, à savoir les libertés publiques. Et d'enchaîner que l'agent administratif doit faire preuve d'impartialité et d'équité, sans tomber dans les soupçons et les préjugés. Car l'usager a souvent besoin de recourir aux services publics et que ceux-ci ne doivent, en aucun cas, le traiter selon ses apparences, ses appartenances ou ses opinions politiques. L'agent administratif doit être, à son tour, indépendant par rapport au pouvoir en place. «Pour que le devoir d'obéissance à l'Etat ne prime pas sur le droit de neutralité», ajoute le conférencier. Et c'est là que le principe de neutralité n'est pas aussi évident. «Mais il est obligatoire de se rendre compte que le service public est un droit à tous les usagers», a-t-il conclu, en réaffirmant la complexité du sujet. Cette communication a été suivie par un débat portant sur l'application du principe de neutralité dans la loi, la magistrature et dans la pratique. Le président du Sncsp s'est bien focalisé sur l'administration tunisienne avant et après la révolution du 14 janvier. Au cours des années qui précèdent cette date, le service public est coupable, selon lui, d'une grande dépendance au régime déchu, où la neutralité est quasiment absente. «Cette période est révolue», souligne-t-il. Alors que l'administration post- révolutionnaire est marquée surtout par une perception négative du sens de la neutralité. Et de conclure que l'objectif d'aujourd'hui est de penser à une véritable révolution administrative, en mesure de changer les rapports et d'édifier sur des bases solides le concept de la neutralité positive.