Par M'hamed JAIBI Le président Marzouki déclarait, dimanche 15 janvier, qu'une intervention étrangère en Syrie «signifierait que la guerre va s'étendre à toute la région» et que «la voie serait ouverte à toutes les puissances : Turquie, Israël, Iran, Hezbollah. Cela voudrait dire que toute la région du Moyen-Orient va exploser». Aux yeux de M. Marzouki, cela correspondrait ainsi à une décision «suicidaire». Il se trouve que quelques heures auparavant, notre généreux hôte, l'émir du Qatar, faisait, de Tunis, une déclaration à la chaîne américaine CBS, appelant à l'envoi de troupes arabes en Syrie. Mais aucune démarcation franche et officielle, à part la déclaration de M. Marzouki, n'a suivi les propos de l'émir. Au contraire, les positions du ministre des Affaires étrangères ont plutôt donné l'impression, à plusieurs reprises, d'être plus proches de celles de l'émir que de la déclaration de notre président. L'option parlementaire prise par l'organisation provisoire des pouvoirs publics adoptée par l'Assemblée nationale constituante a eu pour conséquence d'éclater la décision politique de l'exécutif tunisien entre un président très actif, aux prérogatives limitées, et un gouvernement souverain peu bavard mais plutôt bienveillant à l'égard de l'ami qatari, plus particulièrement après les accords de coopération conclus récemment. Sachant toutefois que le dossier des Affaires étrangères est partagé entre le président de la République, qui décide et nomme « en accord avec le chef du gouvernement » et le ministre des Affaires étrangères qui gère notre diplomatie au quotidien. Etant bien entendu que le Premier ministre, véritable tête de l'exécutif dans l'actuelle « petite Constitution provisoire», a toute latitude d'exprimer la position officielle de son gouvernement. Quant à M. Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha, il ne manque pas de donner, par sa forte présence médiatique et son influence morale auprès du gouvernement, une quatrième dimension. Du temps du régime présidentialiste, par ailleurs si décrié, avec Bourguiba, le fin politique, ou même avec Ben Ali, la diplomatie tunisienne dansait sur un seul pied. Souvent c'était le bon pied, parfois pas, mais la machine tournait et le pays, dans sa modération vis-à-vis de l'Occident, jouissait d'un positionnement stable. Ce qui inquiète plus d'un observateur aujourd'hui, c'est de voir cet éclatement de la position officielle tunisienne toucher tous les domaines, affectant les intérêts du pays et son crédit. Car, si la démocratie pluraliste et le parlementarisme ont effectivement pour habitude de diversifier les réactions et les attitudes, même au sein d'un même gouvernement (que dire d'un cabinet de coalition !), il est bien clair que la conjoncture économique, sociale et sécuritaire par laquelle passe la Tunisie est à même d'exiger un minimum de coordination et d'harmonie au sein des différentes expressions de l'exécutif. L'opinion nationale autant que les partenaires arabes et occidentaux ou autres ont besoin d'être sécurisés à propos des orientations et des options du pays en cette seconde transition démocratique. La clarté des axes de la politique nationale, théoriquement consensuelle malgré l'existence d'une majorité et d'une minorité, aiderait à souder la volonté populaire et à potentialiser l'action nationale dans tous les domaines. La diplomatie tout d'abord, mais aussi les autres choix stratégiques de la Tunisie, gagneraient à faire, le plus rapidement, l'objet d'une bonne discussion entre tous les acteurs de la vie nationale. N'est-ce pas d'ailleurs le sens de la conférence que se propose d'organiser le chef du gouvernement, M. Hamadi Jebali, à laquelle seraient conviées toutes les familles politiques, toutes les forces sociales et toutes les expressions associatives. Afin que la Tunisie puisse faire le point des pas franchis et des futures étapes qu'il s'agit d'affronter dans la cohérence, pour remettre le pays au travail et agir à la réalisation des objectifs de la Révolution de la liberté et de la dignité. Une conférence plurielle qui permettra de réfléchir ensemble, dans un débat contradictoire constructif, aux meilleurs moyens à mettre en œuvre pour surmonter la crise politique, économique et sociale que vit le pays. Dans un esprit d'écoute et de concertation, avec de fermes intentions consensuelles. C'est en tout cas ce qui ressort des propos engageants de M. Jebali, lors de son interview télévisée.