«La recherche du seul profit pousse l'édition vers une marchandisation qui n'est pas compatible avec la création et la diffusion des biens culturels», affirmaient les éditeurs indépendants dans leur déclaration proclamée en juillet 2007 à Paris. Créée il y a dix ans à la suite d'un mouvement engagé par un collectif d'éditeurs chiliens en faveur de la «bibliodiversité», un néologisme évoquant la dimension vitale de la diversité culturelle pour le livre, l'Alliance est composée aujourd'hui de 82 maisons d'édition provenant de 45 pays situés sur les cinq continents. Une importante délégation de cette jeune et dynamique association à but non lucratif était présente du 25 au 28 avril à la Foire internationale du livre de Tunis. Des débats, des rencontres, une table ronde réunissant le président de l'Alliance, Thierry Quinqueton, sa directrice, Laurence Hugues, Nouri Abid, fondateur des Editions Médali (Sfax) et coordinateur du réseau arabophone, et plusieurs autres éditeurs tunisiens et étrangers furent organisés dans les salles de conférence de la foire. Défendant corps et âme la logique du savoir et de l'intelligence contre la loi du profit prônée par les grands groupes éditoriaux, l'Alliance a cherché à Tunis à mettre en place des modalités d'actions concrètes‑: traductions, coéditions, développement de partenariats avec des éditeurs d'autres réseaux linguistiques, réflexion sur le lancement de formation dans le métier du livre… On le sait, parmi les objectifs fondamentaux de l'Alliance, la circulation des œuvres et des idées d'une culture à l'autre à travers le livre. La déclaration citée plus haut insiste sur la nécessité de traduire les œuvres d'une langue à l'autre pour éviter, dans ce contexte de mondialisation, la standardisation des pensées et des contenus: «Nous constatons par exemple que très peu de livres sont traduits vers l'anglais et vers l'arabe, alors que l'essentiel des traductions est issu d'œuvres du monde anglophone. Nous redoutons un repli identitaire et l'instauration durable d'une pensée dominante. Nous demandons unanimement la mise en place urgente de fonds et d'aides à la traduction destinés avant tout aux éditeurs indépendants». Quatre éditeurs tunisiens font partie de l'Alliance‑: les Editions Médali, Cérès Editions, les Editions Alif et les Editions Elyzad. Définissant le concept de l'éditeur indépendant, Thierry Quinqueton évoque plusieurs critères dont l'autonomie financière (du capital) par rapport aux grands groupes éditoriaux comme Hachette par exemple, la souveraineté dans les choix éditoriaux par rapport à l'Etat, à un syndicat, au système universitaire, à un groupe religieux. Et enfin la liberté de choisir soi-même les titres de son catalogue. Mais comme l'ont fait remarquer plusieurs professionnels du livre dans les diverses discussions, «ce sont les lecteurs par leur force et leur soutien qui peuvent imposer l'indépendance de l'éditeur». Voilà ce qui a provoqué tout de suite une autre interrogation : «L'école aujourd'hui dans nos pays arabes n'est pas en train de privilégier l'accès à la culture». Un lecteur de caractère, osant des choix éditoriaux intelligents, continue donc à bercer les rêves du cercle des éditeurs indépendants…