Par Héla Ouardi • Les événements relatés dans ce texte sont bien réels; toute ressemblance avec la révolution tunisiennen'est pas une coïncidence. Le 22 février 1848, les Français se soulèvent contre le roi Louis-Philippe. Lâché par « sa » garde nationale, le roi s'enfuit en Angleterre. Trois jours après, le 25 février, Lamartine apparaît dans un balcon de l'Hôtel de Ville de Paris pour proclamer solennellement devant une foule en liesse la deuxième République. On forme un gouvernement provisoire. Malgré une grande crise politique et l'inquiétude devant l'accroissement du chômage, un enthousiasme sans précédent réunit le peuple autour du rêve républicain. Les gens sont heureux. On plante partout des arbres de la liberté; le peuple est enfin souverain. Liberté de la presse, suffrage universel, droit au travail et suppression de l'esclavage sont annoncés dans un climat de joie. Par une sorte de contagion, 1848 sera une année de révolutions : l'Autriche, la Hongrie, l'Italie et l'Allemagne connaissent également des mouvements révolutionnaires. C'est ce que les historiens appellent déjà à l'époque «le Printemps des peuples». Pour la première fois dans l'histoire de la France, des élections au suffrage universel masculin (il ne faut pas trop demander !) ont lieu. Le 23 avril 1848, les Français (sans les Françaises) se dirigent vers les urnes pour élire une Assemblée constituante. La Constitution, l'Histoire sont à réécrire. On remet le compteur à zéro. « Ô temps suspends ton vol » ! Lamartine n'était-il pas l'âme de cette révolution bénie? Une révolution a toujours besoin d'un poète dont on scande les vers pour contrer le malheur et faire plier le destin. Personne ne fait encore attention aux vautours qui guettent le bonheur fragile d'un peuple qui croit enfin être maître de lui-même ; le roi s'est enfui ; on ne craint plus rien. La France vivra ainsi durant plusieurs semaines dans une douce euphorie appelée communément « l'Illusion lyrique». Illusion, car rapidement le climat se dégrade ; la crise politique et économique est encore très grave. Dans l'Assemblée constituante fraîchement élue, les conservateurs sont majoritaires ; ils veulent forcer le cours de l'Histoire, imposer des lois liberticides et museler la presse. La constituante élit une Commission exécutive de 5 membres dont sont exclus les éléments les plus progressistes. L'orientation conservatrice que les constituants veulent imprimer à la nouvelle République devient évidente. Une résistance se met en place. Non, on ne se laissera pas faire. On ne s'est pas débarrassé d'une tyrannie pour tomber sous un autre joug ! La deuxième République connaît rapidement de graves troubles. La crise économique et sociale persiste; le nombre de chômeurs augmente. La rue s'agite, les gens sont mécontents. Ils souffrent encore : est-ce donc cela la liberté? Où est le travail? Où est l'argent? En décembre 1848, dans une atmosphère très tendue, on organise des élections présidentielles. Lamartine obtient 0,26% des voix (« sfir fassel», lui aurait-on dit aujourd'hui!). Devant cet échec cuisant, il se retire de la vie politique sur la pointe des pieds. C'est Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de l'autre, qui est triomphalement élu président de la République. De ce suffrage, la majorité très conservatrice de l'Assemblée nationale sort renforcée. Les élections présidentielles puis législatives portent ainsi au pouvoir le neveu du premier Empereur et une majorité monarchiste, drôle de mélange pour une République ! En réalité, Louis-Napoléon Bonaparte, surnommé par Victor Hugo « Napoléon le Petit», ne veut pas de République : son rêve c'est l'Empire, la gloire du « Salaf »... euh pardon, de son oncle. « Napoléon mon cul! » lui aurait dit la Zazie de Queneau si elle était à Paris à cette époque-là... Fort de l'appui des conservateurs et des monarchistes qui n'ont pas avalé la pilule de la fuite du roi, Louis-Napoléon, le fossoyeur de la République, fait un coup d'Etat contre lui-même le 2 décembre 1851. La résistance des républicains comme Victor Hugo est militairement écrasée et la colère populaire réprimée dans le sang. «Je ne suis sorti de la légalité que pour entrer dans le droit», aurait dit Louis-Napoléon. Mais c'est vrai : la légalité ce n'est pas le droit ; allons donc le droit est d'essence divine. Faute d'avoir sous la main un concept comme la charia, Louis-Napoléon, devenu par un tour de magie l'Empereur Napoléon III, proclame en 1852 l'Empire de droit divin ; appeler le bon Dieu en renfort, une recette vieille comme le monde qui fonctionne à tous les coups, tous les coups d'Etat... Pendant ce temps-là, le peuple réduit au rôle de comparse dans une épopée dont il était pourtant le héros, rumine les vers de Lamartine et assiste impuissant à la fin de son illusion lyrique.