SUD-LIBAN (AP) — Le risque d'une nouvelle escalade de violence entre Israël et le mouvement de résistance chiite libanais Hezbollah n'effraie pas les investisseurs, qui misent sur un développement de l'industrie touristique au Sud-Liban, il n'y a pas si longtemps encore champ de bataille. De nouveaux complexes touristiques sont en cours de construction tout près de l'une des frontières les plus tendues du Proche-Orient, dans une région qui offre pourtant un décor de carte postale: des collines ondoyantes où fleurissent des plantations d'oliviers et d'orangers et parcourues de cours d'eau. "C'est ma terre. J'ai grandi ici, j'ai de magnifiques souvenirs d'enfance ici, et Israël ne me fait pas peur", soutient Khalil Abdullah, un homme d'affaires de 56 ans qui finance le plus ambitieux de ces projets touristiques, le "Wazzani Fortress", un investissement de 3 millions de dollars (2,27 millions d'euros). Le long de la rivière Wazzani, qui marque la frontière avec Israël dans le sud-est du Liban, des ouvriers travaillent 24 heures sur 24 pour achever l'immense complexe, construit en forme de fort. Il comprendra un hôtel, des résidences de luxe, un restaurant en bord de rivière et trois piscines, dans les contreforts du plateau du Golan, région syrienne occupée par Israël depuis 1967. Khalil Abdullah, un cigare à la bouche et une tasse de café à la main, assis sous un parasol dans la ligne de mire d'un avant-poste militaire israélien, est serein: il dit ne pas craindre le déclenchement d'une nouvelle guerre entre le Hezbollah et Israël. "On me dit fou, mais je suis simplement en train de réaliser un rêve", explique-t-il, récemment revenu s'installer au Liban après quarante ans passés comme entrepreneur en Afrique. Le Sud-Liban a souvent été le théâtre de violences durant les 18 ans d'occupation israélienne, jusqu'au retrait unilatéral en 2000. Aujourd'hui, des milliers de Casques bleus de l'ONU y patrouillent, ainsi que des militaires libanais, et des membres du Hezbollah. Le mouvement de résistance chiite s'était violemment opposé à Israël lors d'un conflit armé durant l'été 2006. Comme chaque année, la crainte d'une nouvelle guerre se fait sentir à l'approche de l'été: en avril, Israël a accusé la Syrie de fournir au Hezbollah des missiles Scud à longue portée. Mais malgré les tensions, la situation est restée relativement calme et stable ces dernières années au Liban, ce qui a permis au Pays du Cèdre de connaître une importante croissance du tourisme. En 2009, près de 2 millions de touristes ont visité le Liban, chiffre supérieur au record détenu jusqu'ici par la période d'avant la guerre civile de 1975-1990. Les principaux centres d'intérêt sont la capitale, Beyrouth, ainsi que les plages et montagnes du centre du pays. Mais les infrastructures sont bien moins développées dans le Sud, où elles ont souvent été négligées en raison des violences. Des investisseurs espèrent toutefois y attirer des touristes arabes et libanais, y compris les membres de l'importante diaspora libanaise qui souvent rentrent au pays pour l'été, alors qu'Européens et Américains doivent, eux, obtenir une autorisation spéciale de l'armée pour circuler dans les régions frontalières. Dans le village frontalier de Maroun El-Rass, théâtre de très violents combats entre le Hezbollah et l'armée d'occupation israélienne en 2006, un parc récréatif qui vient d'ouvrir accueille jusqu'à 3.000 personnes chaque week-end. Le parc, qui a coûté 1,5 million de dollars (1,14 million d'euros), a été financé par l'Iran, accusé de fournir des armes et des financements au Hezbollah, ce que dément Téhéran. Le parc comprend une petite mosquée au sommet de laquelle est érigé un drapeau iranien, des barbecues pour le pique-nique et des jeux pour les enfants, et disposera bientôt de terrains de sport. Il sera officiellement inauguré le 25 mai, jour anniversaire du retrait des troupes israéliennes du Sud-Liban en 2000. Car pour beaucoup de Libanais, le tourisme au Sud-Liban, c'est presque un acte de civisme... A Maroun El-Rass, on se fait prendre en photo avec en arrière-plan les localités israéliennes d'Avivim, Zarit et Baraam. "C'est un peu effrayant d'avoir Israël juste derrière nous, mais c'est aussi une idée formidable et un endroit magnifique", confie Sarah Safieddine, 19 ans, étudiante beyrouthine venue en excursion avec des amis. "Nous défions Israël avec des projets comme celui-ci", estime pour sa part Moussa Nasrallah, ingénieur libanais en charge du projet. "L'idée était de montrer que cette zone qui il fut un temps était rasée et où des chars israéliens étaient positionnés est aujourd'hui en pleine expansion". Le ministre libanais du Tourisme, Fadi Abboud, a estimé que construire des complexes touristiques à la frontière israélienne était une bonne idée, et a encouragé les touristes arabes "à s'y rendre comme en pèlerinage". "C'est une forme de résistance civile, qui est même plus importante que la résistance militaire", a-t-il déclaré à l'Associated Press. "La résistance, ça peut être juste le fait d'aller déjeuner, dîner, ou même seulement prendre un verre, le long de la frontière".