Par Soufiane BEN FARHAT La controverse enfle. La décision présidentielle et gouvernementale d'expulsion de l'ambassadeur syrien à Tunis n'est point orpheline. Elle est corollaire de l'abrogation de toute reconnaissance du régime en place à Damas. Le chef du gouvernement, M. Hamadi Jebali, a surenchéri hier à Munich en appelant tous les pays à expulser les ambassadeurs de Syrie. Depuis son annonce, elle fait débat. Fait couler beaucoup d'encre et de salive. Pourquoi nous ? Pourquoi ici et maintenant ? Quelles en sont les motivations réelles ou cachées ? Les analyses, conjectures et supputations vont bon train. En tout état de cause, cela ne laisse guère indifférent. Tant le citoyen lambda que les intellectuels et la classe politique dans son ensemble réagissent. Loin des partis pris et des manichéismes primaires, quelques observations s'imposent. En premier lieu, la décision déconcerte par sa signification. Elle tranche net avec les constantes de la diplomatie tunisienne. Une diplomatie plutôt réservée, médiane, modérée et constructive, soucieuse de tisser des liens plutôt que de consommer des ruptures. De tout temps, la Tunisie a adopté une attitude mesurée et prudente. Et cela n'entache en rien son fidèle attachement aux principes. En second lieu, la décision déconcerte par son timing. A la veille de l'examen du dossier syrien par le Conseil de sécurité de l'Onu. Et corollairement aux informations faisant état d'un carnage qui aurait été perpétré par les autorités syriennes à Homs. Un carnage controversé tant par les protagonistes, qui s'en accusent mutuellement, que par le nombre des victimes supposées ou réelles. En même temps, le Qatar, pays aux avant-postes de la coalition anti-syrienne, a particulièrement sorti ses griffes ce week-end. Objectif, forcer la communauté internationale à condamner énergiquement le régime baâthiste de Syrie. Plusieurs médias et chaînes satellitaires inféodés au Qatar, dont Al-Jazeera, ont été mis à profit. Côté Etats, seule la Tunisie a campé une attitude aussi tranchée, explicite et directe. Les Etats-Unis d'Amérique et le Qatar lui-même n'ont pas agi de la sorte. De leur côté, la Russie et la Chine ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de sécurité condamnant la répression en Syrie. L'ambassadrice américaine aux Nations unies, Susan Rice, s'est déclarée «dégoûtée» par ce double veto. L'ambassadeur syrien à l'Onu lui a rétorqué que les USA ont opposé soixante fois leur veto à des résolutions condamnant les tueries israéliennes. En fait, tout se passe comme si la décision tunisienne aurait été soufflée, voire imposée de l'extérieur. Ce qui équivaudrait à hypothéquer la souveraineté nationale et ses attributs diplomatiques. La décision déconcerte par ailleurs par sa brutalité. Le propre des démarches diplomatiques est de procéder par étapes. Il y a, d'abord, l'exaspération manifeste, puis une déclaration molle de quelque source autorisée, généralement anonyme, puis une condamnation explicite via une déclaration, puis un appel aux ressortissants nationaux à quitter le pays concerné, puis la signification solennelle à l'ambassadeur du pays incriminé d'une position ferme, puis l'abaissement du niveau de représentativité diplomatique, puis le rappel de l'ambassadeur national dans ledit pays, puis le gel temporaire des relations avant la consommation de la rupture. Cela peut prendre quelque temps. Mais, dans tous les cas de figure, ne point succéder à des informations brumeuses sur quelque fait politique ou militaire jugé grave. Et puis le parallélisme des formes voudrait que la Tunisie rompe aussi prestement ses relations avec l'Arabie Saoudite, qui abrite impunément l'ex-président Ben Ali, condamné pour haute trahison, crimes de guerre et crimes contre l'humanité en Tunisie. Il est en effet surprenant de rompre les relations avec la Syrie en signe de soutien à la révolution syrienne et de ne point le faire avec l'Arabie Saoudite en signe de soutien à la révolution tunisienne. Idem des régimes de Bahreïn, du Koweït, d'Egypte et du Soudan le cas échéant. Tous ces pays connaissent des troubles intérieurs sauvagement réprimés par les forces de sécurité. Le raisonnement par analogie ou par l'absurde peut nous mener loin. Dans tous les cas de figure, il atteste de l'inconsistance voire de la légèreté manifeste de la décision portant expulsion de l'ambassadeur syrien. Le débat ne semble pas près de s'épuiser de sitôt. Aux dernières nouvelles, l'opposition a décidé de saisir le gouvernement à ce propos à l'Assemblée constituante. Affaire à suivre.