• Le lecteur se trouve galvanisé puis épouvanté par le récit d'un couple très mal assorti, composé de deux sombres jouisseurs, habités par une passion dévorante et souterraine. Une histoire qui ne laisse personne indifférent. Il n'est pas donné à n'importe quel auteur, fût-il le plus grand, de livrer son misérable petit tas de secrets, même les plus inavoués, en tenant son lecteur en haleine jusqu'à la dernière syllabe. C'est l'exploit que réussit Salah El Gharbi, universitaire et romancier tunisien, auteur notamment de Perditions (récit, Comar du premier ouvrage en 2004) et de Quand mes nuits se souviennent (roman, mention spéciale du jury-Comar en 2007), en publiant son troisième roman intitulé La troisième fille. Une confession implacable et glacée Implacables et inapaisées, la violence et la dureté de cette confession qui se déroule comme dans un polar psychologique. Le récit du quotidien alterne avec les souvenirs liés au tragique suicide de son frère cadet dont le héros peine à se relever. Des souffrances morales très profondes ravivées depuis par la maladie d'Alzheimer et la détérioration de toutes les facultés intellectuelles du père de Sami, le héros, ainsi que l'usure constatée au niveau de la santé de sa mère, affligée par cette double tragédie. Dans ce champ de ruines, même le côté affectif n'est pas épargné, Sami peine à retrouver ses repères et ses marques. Sur le plan professionnel, sa situation n'est guère florissante. Il est en perpétuel conflit avec son rédacteur en chef, une femme cynique et impavide que rien n'ébranle dans le tumulte de ses fonctions à la tête de son tabloïd de langue arabe. A quarante ans, Sami n'est pas marié. Non pas qu'il soit un célibataire endurci, mais les conditions précaires de sa situation l'empêchent de convoler en justes noces avec la belle Basma, une divorcée connue sur les bancs de la faculté avec deux filles à sa charge. D'où la référence aux filles dans le titre, «La troisième fille». Ironie du sort, Basma, née après deux filles et mère à son tour de deux filles, cela a fait son malheur puisque son mari, non content et pourtant éperdument amoureux de sa femme, a préféré prendre la poudre d'escampette et sans demander son reste. Il s'est mis en ménage avec une autre capable de briser le signe indien et lui donner le mâle qui le rassurerait dans ses tendances machistes et phallocratiques. Parangon érigé en modèle accompli de la femme victime non consentante d'une mentalité de macho, Basma partage la vedette avec Sami, l'amoureux transi. Tous les coups sont désormais permis, tous les moyens sont bons et tous les combats sont perdus. Amant misérable, journaliste timoré par crainte de décevoir, Sami explose crûment tous les replis de sa lâcheté et de son peu d'empressement à prendre les décisions au moment opportun. Un livre qui mérite amplement une place d'honneur dans la production romanesque en Tunisie. —————————— * La troisième fille, de Salah El Gharbi, Arabesques Editions, novembre 2011.