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Dans les arcanes de la mémoire et les tribulations du présent
Cet été, lisez les romans tunisiens
Publié dans La Presse de Tunisie le 30 - 06 - 2010

Parce que l'été s'installe, que les journées s'annoncent longues et que la plupart d'entre nous auront quelques vacances méritées, nous vous proposons des lectures estivales tunisiennes, histoire de vous donner envie de découvrir des auteurs bien de chez nous. Nous nous contentons de vous présenter cinq titres de trois auteurs récompensés par des prix aux diverses sessions du Comar d'Or et parions que le plaisir de les lire vous incitera à en apprécier bien d'autres.
Mohamed Bouamoud, l'humour humaniste et la mémoire collective
Remarqué en 2008 avec Essayda El Mannoubyya, Mohamed Bouamoud confirma avec Visages son talent de romancier. Consacré par le prix Découverte au Comar d'Or 2009, Visages de Mohamed Bouamoud est un récit réaliste porté par un style alerte, rythmé, simple et souvent décalé. Un style nourri d'un humour sain, rafraîchissant et tendre. Un humour qui ne manque ni d'âme ni de courage.
Le roman raconte l'histoire de Dhahbi Boujemaâ, ouvrier aux écritures, qui prend part, sans s'en apercevoir, et en en mesurant d'autant moins les conséquences, à la crise qui opposa, au milieu des années 70, l'Union générale des travailleurs tunisiens aux autorités locales. Et il sera du mauvais côté : celui des mouchards, des vendus et des traîtres.
Dhahbi est le rejeton de Radhouane, le plus grand serrurier que Tunis eût jamais connu, alcoolique, marié à quarante-neuf ans à une femme de quarante-cinq ans, qu'il n'a ni choisie ni aimée, Soussia, qui accoucha de ce misérable prématuré : «Une nullité. Tout juste un crachat bavé un soir de grande soulerie entre les jambes d'une femelle très assoiffée de vie, elle qui n'y croyait plus», devenu au fil des années de misère et d'abandon affectifs : «Coupable d'être né. Coupable d'être venu à la vie.
Coupable de s'être accroché à la vie. Coupable d'avoir un peu trop espéré de la vie. Coupable d'être sans l'être tout à fait un homme parmi les hommes. L'ombre des hommes. Un rien».
Cette vie réduite à l'insignifiance, Mohamed Bouamoud la raconte avec précision, en nommant les lieux, les objets, en scrutant les détails et en les enrobant d'un humour particulier qui fait la force d'un récit poignant. Un humour aux amarres existentialistes, d'un tendre humanisme, débarrassé de toute extériorité condescendante. Oui, c'est de l'humour humaniste. Ce n'est pas de l'ironie. Car celle-ci est souvent une stratégie, un système, une doctrine : «L'ironie est surtout un jeu de l'esprit. L'humour serait un jeu du cœur, un jeu de sensibilité», disait Jules Renard. L'humour pardonne et comprend, là où l'ironie méprise et condamne. Pour cette raison, Visages de Mohamed Bouamoud est un texte précieux car fait d'amitié, de complicité, de tendresse et parfois d'une saine révolte. On rit de ce qui fait mal. Sans dédain, par compassion ou par refus. Une manière de relever (élever) ceux qui tombent.
Avec son troisième roman Les années de la Honte, Mohamed Bouamoud ne reconduit pas forcément l'humour survolté de Visages mais son écriture est de nouveau une déferlante de sensations, de sentiments et d'affects qui n'ignorent ni les secousses des corps, ni les tourments de l'esprit.
Le roman s'ouvre sur le feu : une masure qui s'enflamme, une mère, Khira, qui sauve ses deux jumeaux de quatre ans, une fille Khédija et un garçon, Khaled (l'immortel), à la blondeur suspecte et aux yeux bleus. Parce que son troisième fils Mansour (celui qu'on propulse vainqueur) était absent ce soir-là et que l'époux de Khira, Achour, parfois père, s'est laissé cramer par les flammes.
Cette séquence d'ouverture est un souvenir, il resurgira, lorsque la mère Khira se décidera à raconter à Khaled l'histoire-fardeau de sa naissance et les raisons de son rejet par les habitants de B…, le village qui les a reçus un temps et bannis longuement.
C'est le récit d'un enfant de la honte, du viol, du mépris qui ne manquera pas de s'articuler sur la grande Histoire, celle du débarquement des Allemands en Tunisie, de l'abdication de la France et de la rescousse des Alliés.
Un récit qui épouse les soubresauts de la mémoire, son caractère kaléidoscopique, qui aurait pu être délicieusement subjectif mais qui cède parfois à la chronologie des événements et à l'objectivité qu'elle suppose.
L'auteur relate ceci et cela dans une langue personnelle, assez savoureuse, suffisamment rythmée pour tenir le lecteur en haleine et s'avère obsédé par des thématiques déjà explorées dans Visages, son roman précédent.
Les marginaux, les laissés-pour-compte, les gens du peuple, saisis, voire broyés par les contextes sociaux et politiques qui les dépassent, sont de nouveau les protagonistes d'un conteur doué, à l'imagination habitée et fertile.
Un auteur qui a des choses à nous dire sur l'honneur, le patriotisme, la ruse de l'Histoire mais surtout sur l'humain, sur ses fragilités, sur ses tentations et toutes ces choses qui se passent à l'insu de sa volonté et de ses désirs.
Un tout petit regret tout de même, il nous semble qu'avec Bouamoud, les cartes sont d'emblée distribuées, les dés sont déjà jetés, quelque chose d'un peu consensuel délimite le territoire des bons, des bêtes et des truands. Une traînée de valeurs qui fait que du début jusqu'à la fin les valeureux habitent leur camp et les lâches le leur.
Pourtant même à cela le lecteur cède, emballé qu'il est par une écriture vivante, trépidante, portée par un souffle continu et jamais démenti. Mohamed Bouamoud a tout le potentiel d'un auteur populaire qu'il suffit de découvrir et de faire découvrir pour séduire le plus grand nombre de lecteurs parce qu'il y a dans son écriture, entre l'épopée et le récit intime, une dimension collective et fédératrice, qui nous invite à visiter notre mémoire et à abandonner l'assignation à l'amnésie, au désenchantement et au retrait.
Azza Filali ou les failles cachées de la bourgeoisie
Son premier livre Le Voyageur immobile (Alif – Les éditions de la Méditerranée, 1991) était un essai sur la pratique médicale. Ont suivi un second essai Le Jardin écarlate en 1996, puis Monsieur L (roman, Cérès, 1999), Les Vallées de lumière (roman, Cérès, 2001),  mais à notre avis, c'est avec Chronique d'un décalage (roman, Mim éditions, 2005) que Azza Filali a signé l'un de ses romans, si ce n'est son roman le plus attachant.
Chronique d'un décalage, c'est d'abord une histoire, très actuelle, dans une Tunisie sans fard, autour d'une famille bourgeoise, certes, mais dont le quotidien est révélateur des tensions présentes au sein de toute famille : histoire de couple sans passion ou dont l'amour s'est émoussé, de frères et de sœurs séparés par l'héritage, d'abord matériel — évidemment —, ensuite immatériel — et c'est moins anodin ! — où l'on n'accorde point la même valeur ni le même contenu à cette épineuse question de la «réalisation de soi» : quelle place peut occuper l'écriture, le voile, la carrière, l'enfantement, la mémoire des morts … Comme le titre l'indique, le personnage principal a choisi «le décalage», il ne partage pas les «valeurs unanimes» et s'est inventé une sorte de double qui va jusqu'au bout de sa solitude : une femme qui se balade, prend le train et déambule…
Avec L'heure du cru, son dernier roman, publié aux éditions Elyzad (2009) et consacré par le Prix spécial du jury Comar 2010, Azza Filali, à défaut de reconduire la saveur sensitive et sensorielle de Chronique d'un décalage, a atteint un degré remarquable de maitrise de l'écriture et du style.
La matière narrative de L'heure du cru naît sous les yeux du lecteur lorsque le protagoniste premier, l'écrivain-narrateur, est confronté à la vacuité de la page blanche et qu'il se met à s'immiscer dans la vie des autres. Divorcé, l'écrivain se met à s'intéresser à Adel, camarade de classe de sa fille Nozha puis au père de cet adolescent secret, voire énigmatique. Il finit même par se livrer à une réelle enquête, y compris auprès des professeurs de Adel et plus particulièrement auprès de Si Mahmoud, le professeur d'histoire. Protagonistes et contexte social aux allures fades mais rongés de l'intérieur comme la pomme est rongée par le ver prennent alors place par le biais d'une écriture précise comme le verre poli, ciselée comme de la fine orfèvrerie pour que le jeune Adel chambarde d'un coup l'ordre conformiste qui prévaut dans les mœurs affichées de la petite bourgeoisie. Le jeune Adel fugue. Mais ni le narrateur ni le lecteur ne connaîtront les tenants et les aboutissants de cette fugue. Restera alors la parabole philosophique, issue probablement d'une opposition entre culture et nature, d'une quête de pureté originelle que l'auteure, à en croire les entretiens qu'elle accorde, estime plus apte à dessiner les contours d'une écriture qu'elle souhaite plus discursive que proprement narrative et romanesque.
Kaouther Khlifi, la poésie retrouvée
Ce que Tunis ne m'a pas dit est le premier roman de Kaouther Khlifi, récipiendaire du prix Découverte du Comar d'Or 2008. C'est d'un récit qu'il s'agit, dans une double acceptation du mot, celle d'un contenu narratif et d'une manière avec laquelle on raconte. Le contenu narratif est mince, quasiment fragile, et la manière, elle, est consistante, tonique. Un moment de lecture quasiment jubilatoire car l'écriture est dense, prend des bifurcations, se promène, s'évade et dessine de nouveaux sentiers.
Le récit débute par la description poétique d'une journée d'automne, d'un temps irrésolu propice à l'errance. Ce climat incertain plaît à la narratrice qui se rend sans peine à la certitude qu'une des rares choses qui porte pleinement son sens est l'incertitude. La narratrice est mystérieuse, elle frôle la quarantaine, mais elle n'a connu ni misère, ni guerre , ni exil, ni viol, ni mort. Elle se demande du coup de quel mirage s'enivrer pour donner le la. Elle serait donc anodine mais elle cannait la consternation que génère la platitude. Elle dit appartenir à ces nouvelles générations qui ne doivent pas grand-chose à la poésie. A ces générations qui ne saisissent pas, qui ne savent pas, qui récoltent par hasard ce que quelques plus âgés daignent bien raconter dans un tendre moment d'évocation de souvenirs, à ces générations, dit-elle, dont le système de représentation du monde n'a pas eu le temps de fixer ses deux pieds du même côté (le cul entre deux chaises ?). Elle dira plus : c'est une représentation bancale du monde qui a autant manqué de résistance que d'audace. Vacuité du sens donc, incertitude des valeurs et des jugements, qui laisse la place entière à la poésie ou au style, c'est comme on voudra. Car c'est d'abord cela la force de ce premier roman de Kaouther Khlifi, une belle facture littéraire, un rapport intime à la langue, la réinvention de chaque moment évoqué, de chaque espace parcouru, de chaque corps frôlé.
De la confusion des sens, mais également des désirs, l'auteur dresse un édifice éloquent ! Elle parcourt Tunis, se balade dans ses rues, croise ses habitants, ses fidèles et ses passagers et se choisit un amant. L'aime-t-elle ? Peut-être que oui, peut-être que non ! Elle le brave sans cesse, mais laisse entendre qu'elle est la seconde, qu'elle doit se cacher. On aimerait s'attacher à cette histoire amoureuse — ou charnelle ? — mais la narratrice s'y refuse, elle vaque ailleurs et évoque, à peine, tout ce qui les séparera... Elle nous laisse comprendre que ce sont probablement les «idées» qui les séparent déjà, celles relatives au Liban, à l'Irak et bientôt à l'Iran, mais elle y croit à peine et, du coup, nous non plus ! Et ce n'est pas si grave, puisque c'est, entre autres, de cela qu'il est question, de cette représentation qui se dérobe, de cette lassitude qui dévore, de la platitude dont la narratrice aurait péri s'il n'y avait pas la poésie et l'écriture.


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